Gomukhâsana, la posture de la tête de vache.

GOMUKHÂSANA  Ou « LA TÊTE DE VACHE »

Nous allons aujourd’hui aborder une posture dont le nom imagé semble avoir peu de lien avec la forme qu’il illustre. Il s’agit de la posture GOMUKHA. (go : la vache et mukha : le museau, le visage, la face, la tête)

Soit posture du museau de vache ou de tête de vache.

Mais « gomukha » est aussi le nom d’un instrument à vent, une sorte de cor ou de trompe, utilisé pendant les combats à l’époque du Mahâbhârata. Laissons de côté pour le moment le mystère de ce nom pour aborder cette forme posturale.

Il s’agit d’une posture assise appelée « vîrâsana » dans laquelle les mains s’accrochent l’une à l’autre dans le dos, en une position très particulière, un bras passant par le haut du corps et l’autre par le bas.

Elle fait partie des quinze postures emblématiques du yoga choisies par Svâtmârâma dans la Hatha Yoga Pradîpika.

INSTALLATIONS

INSTALLATION DE L’ASSISE EN VÎRÂSANA

Préparation à l’assise

Il sera judicieux d’avoir préparé auparavant les jambes et le bassin avec la dynamique de quelques salutations au soleil, avec l’« éventail » pour les jambes (voir notes annexes en fin d’article) et, en statique, avec une torsion au sol. Celle-ci peut s’installer en se plaçant tout d’abord sur le dos, genoux repliés et pieds au sol. On croise ensuite la jambe droite par-dessus la gauche, bien serrée au niveau de la cuisse. Puis on incline les deux jambes d’un côté. Après un certain nombre de respirations les jambes remontent. Puis, en gardant le même croisement, on incline de l’autre côté. Après le retour, on change le croisement des jambes et on recommence cette torsion des deux côtés.

Pour une mise en place facile des jambes dans la posture « vîrâsana », nous pouvons tout d’abord nous mettre à quatre pattes. En soulevant la jambe droite vers l’arrière, genou un peu plié, nous posons le genou droit de l’autre côté du genou gauche tout en plaçant le tibia droit au sol, collé contre le gauche. On descend alors le bassin de façon à venir s’asseoir sur le talon gauche. Dans cette variante, l’anus se trouve calé sur le talon gauche. Nous pouvons aussi, après avoir soulevé la jambe droite, en posant le tibia au sol, l’écarter légèrement par côté, de même pour le tibia gauche. Ainsi va se dégager un espace suffisant pour que le bassin puisse s’asseoir sur le sol (ou sur des coussins préparés au préalable).

On redresse le buste et on apprivoise cette assise très « serrée » et assez exigeante pour les genoux.

Quelques observations sur cette assise

On nomme cette assise « vîrâsana » (de « vîra » : homme, mâle, guerrier, héros).

Cette posture est dite « virile » car, en situation, les organes génitaux masculins sont en forte compression , ce qui les sensibilise et les stimule tout en suspendant symboliquement leur activité naturelle. Nous sommes là dans une optique tantrique où toute déperdition séminale est considérée comme une perte de l’énergie vitale première. Le semen devant être non seulement conservé, mais reconduit à la source originelle, vers le sommet du crâne, et non gaspillé en se répandant à l’extérieur.

(H.Y.P. III, 90) :«  De la pensée dépend le sperme chez les hommes, et du sperme dépend la vie. C’est pourquoi le sperme aussi bien que la pensée doivent être protégés avec grand soin ».

Cette posture « virile » va avoir pour les pratiquantes un intérêt équivalent, car les sécrétions féminines que l’auteur de la Hatha Yoga Pradîpikâ appelle le « rajas » doivent être, dans la même optique, elles aussi aspirées vers le haut.

(H.Y.P. III, 102) : «  Celle qui préserve le rajas, étant capable de l’aspirer vers le haut par une contraction, elle est une yoginî. Elle connaît le passé et l’avenir et certainement devient capable de se mouvoir dans l ‘espace »

On peut dire que « vîrâsana » sensibilise et prépare le pratiquant, homme ou femme, à l’exercice de cet éveil et de cette remontée de l’énergie fondamentale que l’on appelle « kundalinî ».

Pour aller dans le sens de cet éveil et de cette remontée d’énergie nous observons tout d’abord que dans cette assise nos outils de la marche extérieure, à savoir les pieds et les jambes, fortement entrelacés, sont en cessation absolue d’activité. L’énergie va donc pouvoir se concentrer entièrement dans le redressement de la colonne vertébrale. Dans la variante assise sur le talon, celui-ci va contribuer à la stimulation de mûlâdhâra, creuset de l’énergie primordiale. Pour activer cette verticalisation, nous allons y installer le mouvement du regard intérieur : en inspirant nous faisons glisser le mouvement du regard intérieur le long de la colonne, comme une caresse, de la nuque vers le coccyx, et sur l’expire du coccyx vers la nuque et au-delà. Chaque expiration va favoriser le redressement. Puis, à poumons pleins on place mûla bandha que l’on va maintenir tout le temps de l’expire.

Si le pratiquant est très confortable et familier de la pratique des bandhas, il pourra, à poumons pleins, placer aussi jâlandhara bandha et jihvâ bandha (ligature de la langue). Sur l’expire il relâchera jâlandhara. À poumons vides il pourra installer les quatre bandhas en y ajoutant un léger uddîyâna.

INSTALLATION DE GOMUKHÂSANA

Une fois l’assise bien installé et l’expérience de verticalisation dynamique maîtrisée, nous pouvons à présent positionner les bras.

Le bras gauche va passer dans le dos, par en bas. L’avant-bras remontant, selon les possibilités morphologiques de chacun, le long de la colonne, la paume de la main tournée vers l’extérieur. Puis le bras droit va monter par côté et se placer à la verticale. Tout d’abord, sur deux ou trois expirations, on va pousser ce bras vers le haut depuis l’épaule. Enfin, en repliant le coude, la main droite va venir à la rencontre de la main gauche les deux mains s’accrochant l’une à l’autre. Mais si la distance entre les deux est trop importante, on prolongera avec une sangle ou un foulard. La tête ne s’incline ni vers l’avant ni par côté, et, sans violence, à chaque expiration on va proposer à l’avant-bras droit de passer derrière la tête.

Nous voilà enfin dans la posture.

Après un certain temps on remontera le bras droit à la verticale et on le ramènera par côté. Puis l’avant-bras gauche glissera vers le bas. Les deux bras de nouveau libres, on pose les mains sur le genou un moment. On peut reprendre alors le mouvement du regard intérieur le long de la colonne vertébrale avec les bandhas, avant de recommencer en inversant la position des bras, le droit par en bas, le gauche par en haut.

Préparation de la ceinture scapulaire

Comme il aura été judicieux de préparer les jambes, de même une préparation des épaules et des bras s’impose avant de s’installer dans cette posture.

La dynamique de « l’éventail » pour les bras semble être une bonne préparation (voir annexe en fin d’article). En assise, quelques rotations toutes simples des épaules seront les bienvenues, de même que diverses postures ou mudrâs comme celle de « la flamme » (dessin 1). On peut aussi monter les bras à la verticale, joindre les mains en salut, et, tout en pliant les coudes, amener les mains derrière la nuque en direction d’entre les omoplates, dans ce que certains appellent bheka mudrâ, le sceau de la grenouille (dessin 2).

En complément, on peut glisser les mains dans le dos, par en bas au niveau de la taille, les doigts tournés vers le haut, et, selon nos possibilités, remonter les mains en salut vers la zone d’entre les omoplates (dessin 3).

Que nous dit cette posture ?

Nous observons, en haut, une grande ouverture des épaules par moitié. Mais les bras, dont elles sont les racines, se trouvent dans l’impossibilité d’aucune action car les mains sont liées l’une à l’autre, en circuit fermé, sans déperdition d’énergie. Comme les mains sont en contact avec la zone anâhata, elles stimulent les énergies du cœur et s’en nourrissent.

Quant aux jambes, elles aussi sont comme « nouées », sans aucune possibilité de marche extérieure. Le délié de l’articulation des hanches contribuant à cette installation.

Dans la première variante proposée, le talon va stimuler la zone mûlâdhara et aussi la nourrir des énergies de redressement qui lui sont propres. Dans la deuxième variante, c’est la terre qui imprègnera directement la naissance de la colonne vertébrale.

Les coudes et les genoux vont être eux aussi fortement sollicités.

LES « CEINTURES »

Les articulations de notre corps sont des passages-clefs, des carrefours qui vont déboucher sur des chemins d’une nature un peu différente de ce qui se trouve en amont ou en aval.

En cela les articulations sont des cakras (roues), car ce sont des zones de prise, de transformation et de distribution de l’énergie. Mais ce sont des zones délicates, très sollicitées, pouvant facilement se verrouiller et devenir des lieux de blocage et de stagnation des énergies.

Les deux plus importantes sont l’articulation de la hanche et celle de l’épaule. Elles forment ce qu’on appelle la ceinture pelvienne et la ceinture scapulaire.

Une ceinture est ce qui tient. Elle est autour de quelque chose. Elle entoure, elle fortifie aussi (une ceinture de murailles). Elle souligne (la ceinture de la taille en souligne la finesse) et marque un passage (vers le haut, vers le bas).

Les hanches ou la ceinture pelvienne

Cette grosse articulation est une charnière primordiale pour notre construction intérieure. D’une part, elle est l’aboutissement d’un redressement qui est un acquis de l’enfance. Cette structure pieds-jambes sera, tout au long de la vie, le reflet de notre enracinement dans le monde et de notre volonté de croître, de nous développer, d’«avancer ».

D’autre part, elle est profondément liée au bassin et sous l’influence de svâdishthâna (le fondement de soi, de l’individu, de nous-mêmes), centre de la génitalité, de la communication avec l’autre, et de la créativité, que ce soient les gestations de l’espèce ou les gestations-créations qui nous sont propres (art, littérature, cuisine, jardinage, etc…).

Ce « fondement de soi » est un creuset d’énergie de libre choix. Il est le centre « sacré ».

Ces énergies vont nourrir l’articulation de la hanche en lui donnant ouverture ou rigidité.

Ainsi la hanche est à la fois perméable aux énergies de redressement qui montent d’en bas et à celles qui vont donner la direction de notre route.

La hanche va être imprégnée aussi des qualités de mûlâdhâra, réservoir de l’énergie primordiale où toutes les puissances sont là, en latence. Et de celles de manipûra, centre de la vitalité, du feu digestif, qui alimente la volonté et la force de l’avancée des genoux.

Carrefour entre l’enracinement de l’espèce et l’enracinement personnel, nourrie des énergies vitales et des énergies primordiales, on peut dire que la ceinture pelvienne est la PORTE DES HOMMES.

Les épaules ou la ceinture scapulaire

L’os du bras, l’humérus, s’articule sur la pointe supérieure de l’omoplate qui, elle-même, n’est tenue que par la clavicule.

Donc les bras et les mains vont être rattachés au sternum par les clavicules. Ainsi toutes leurs actions vont être fortement influencées par ce qui vient du thorax (le souffle, les énergies du cœur), de la gorge et de la tête (la communication et le vouloir).

Les épaules sont les racines des bras. Malgré leur mobilité et leur souplesse, elles sont la stabilité des bras (épauler quelqu’un signifie qu’on le soutient).

Elles reflètent notre capacité à supporter des charges. Quand on en a assez de tenir quelqu’un ou quelque chose à bout de bras, on le ou la porte sur les épaules. Beaucoup de tensions dans les épaules et les bras ont cette origine. L’accumulation des responsabilités dans lesquelles on s’engage écrase et bloque cette articulation.

Les épaules sont l’assise et le soutien de nos fardeaux intérieurs, mais aussi elles sont le miroir de l’amplitude et de l’étendue de nos actions.

Ainsi, dans gomukhâsana, en ouvrant et en déliant cette zone nous allons lui donner une plus grande amplitude de possibilités d’actions.

Les « petites clefs » (les clavicules) ouvrent un passage vers le haut, vers le subtil. Nos actions seront donc aussi imprégnées des qualités du mental et des qualités spirituelles tout autant que de la force du souffle et de l’ouverture du cœur.

Si la ceinture pelvienne est le seuil entre notre part d’espèce, notre animalité, et notre humanité, la ceinture scapulaire sera le seuil qui nous fera passer vers le subtil, vers le sans forme. Elle est la PORTE DES DIEUX.

Les deux ceintures sont des carrefours d’action complémentaires, l’axe vertébral étant la voie royale qui les relie et les alimente.

Dans l’alchimie subtile que nous expérimentons en yoga, la transformation de la « matière » en or spirituel ne pourra s’effectuer que si tout circule de façon fluide et consciente dans le corps tout entier, et tout particulièrement dans les passages-clefs que sont les deux ceintures.

Nous sommes là au cœur de gomukhâsana.

LE NOM

Pour ce qui est du nom « gomukha », il semble difficile de retrouver dans cette posture la forme de la tête ou du mufle d’un bovin.

Peut-être se réfère-t-il plutôt à l’instrument à vent car, en situation, de par la ligature des membres, et comme dans un instrument de musique, le souffle va se canaliser le long de la colonne, sans déperdition.

Et l’usage « guerrier » de cet instrument va contribuer à nous faire prendre conscience de l’aspect « engagement » de la spiritualité, illustré par le combat d’Arjuna.

POUR CONCLURE

En nous obligeant à ligoter de façon radicale bras et jambes la posture de gomukha va solliciter les ceintures pelvienne et scapulaire et donc en stimulera toutes les capacités. En installant consciemment une intense verticalisation, elle va nous permettre d’aller dans le sens de l’éveil de nos forces profondes et latentes. Tout cela en laissant se déployer une large ouverture du thorax.

Même le contact des mains dans le dos au niveau de l’espace du cœur ne sera pas anodin, car les mains puisent leur force subtile de cet espace-là. Ainsi toutes les actions futures accomplies par les mains resteront imprégnées des qualités du cœur : ouverture, sensibilité, amour et beauté.

Pour conclure, toute compliquée et difficile à installer et à garder qu’elle soit, gomukhâsana ne doit pas être négligée.

Avec elle nous sommes là encore, comme pour bien d’autres postures, dans une forme qui, par-delà la simple exigence de libération des articulations, va favoriser chez nous transformation et éveil de la conscience.

Tout est joie !

Marguerite Aflallo

ANNEXES :

L’ÉVENTAIL (jambes)

Nous sommes couchés sur le côté gauche, le bras gauche dans le prolongement du corps, la main droite posée sur le sol devant soi, les jambes l’une sur l’autre, les pieds aussi, mais perpendiculaires par rapport aux tibias.

En inspirant, on amène le genou droit, au ras du sol, vers la poitrine, on déplie la jambe, toujours au ras du sol, et on la monte à la verticale.

Sur l’expire, la jambe, toujours tendue, s’abaisse vers l’arrière et on pose le pied sur l’autre.

Puis, en inspirant, on repart vers l’arrière, jambe tendue au ras du sol, et on monte. Sur l’expire, la jambe, toujours allongée, vient vers la poitrine, au ras du sol, puis on plie le genou et on pose la jambe sur celle du dessous.

Cet exercice peut être répété un certain nombre de fois. Observer. Et, bien sûr, changer de côté.

L’ÉVENTAIL (bras)

Le pratiquant va s’installer sur le côté gauche du corps, les genoux repliés vers la poitrine, le bras gauche dans le prolongement du corps, l’oreille sur le bras gauche.

Le bras droit est dégagé vers l’avant, perpendiculaire au buste.

L’exercice va consister à mobiliser le bras droit comme s’il était une aiguille d’horloge qui ferait le tour du cadran pour revenir au point de départ.

Cela va se faire en appui sur le souffle.

En inspirant, on fait glisser la main droite de dix ou quinze centimètres sur le sol. Sur l’expire, là où l’on est, on allonge le bras vers l’avant depuis l’épaule et l’omoplate. Sur l’inspire d’après on avance un cran de plus, etc…

Passé le cap du bras fixe on pose la tête de l’autre côté de ce bras, visage tourné vers le haut. La paume de la main se tourne elle aussi vers le haut.

On continue la progression avec la petite contrainte que le bout des doigts ne quittent pas le contact d’avec le sol, en « prise de terre ».

Si l’épaule se trouve bloquée, pour ne pas se blesser on monte le bras à la verticale sur les inspires et on relâche sur les expires.

Une fois revenus au point de départ, à la fin du « tour de cadran », on refait un autre tour mais en partant dans l’autre sens, c’est-à-dire dans le sens des aiguilles d’une montre.

Bien sûr, après être revenus sur le dos, on change de côté et de bras.

Marguerite Aflallo, Gomukhâsana, la posture de la tête de vache, mai 2015.