Yama et Niyama… (suite et fin)

YAMA – NIYAMA (dernière partie).

« L’émerveillement caractérise les étapes du yoga » Shivasûtravimarshinî de Kshemarâja (I,12)

À la suite de l’examen successif des règles de vie initiant les huit « membres » du yoga, observons à présent ces préceptes dans leur ensemble. Entre les principes qui s’adressent à notre rapport au monde et à autrui (les YAMA) et ceux qui nous sont strictement personnels (les NIYAMA) vont s’établir des passerelles.

Par exemple nous pouvons envisager une lecture de complémentarité entre chaque YAMA et son correspondant dans les NIYAMA :

La non-violence (AHIMSA) et la propreté, la netteté (SAUCA).

La propreté entretient le corps et le mental, elle nettoie, dépollue, assainit. S’installer dans la saleté est la marque d’une auto-agression due à un manque de respect profond vis-à-vis de nous-mêmes. Nous sommes dans un état violent. La propreté, et par extension la netteté intérieure, est la forme la plus simple et la plus fondamentale de l’amour de soi-même. Tout commence par là. Nous ne serons jamais capables d’être dans un état de non-violence si nous marinons dans la crasse et les pollutions intérieures.
En faisant le nettoyage à l’intérieur de nous-mêmes, éliminons en premier les germes de violence.
En faisant le nettoyage autour de nous, essayons, de même, de nous dégager de toutes les influences imprégnées de violence.

Être dans un état vrai, la sincérité (SATYA) et le contentement (SAMTOSHA).

Ces deux qualités sont indissociables. Le contentement ne doit exister que dans un esprit de lucidité et de sincérité, autrement il ne recouvre que de la vanité, de la prétention, ou bien de l’aveuglement, si ce n’est de la bêtise. Vouloir être dans le vrai, dans la sincérité (avec non-violence), génère un état de bien-être. Cela ouvre l’esprit à la discrimination entre l’inutile, le superficiel et l’essentiel, et, par là même, nous fait réaliser et goûter la beauté des choses et de la vie.

L’honnêteté, la non-convoitise (ASTEYA) et l’intensité, l’ardeur (TAPAS).

Modéré par une attitude honnête et dénuée de convoitise, TAPAS ne se transformera pas en volontarisme avide ni forcené. Mais par contre, TAPAS va donner du dynamisme et de l’ardeur à un état d’esprit qui pourrait être fait de passivité et de renoncement paresseux.


La juste gestion de l’énergie, la maîtrise
( BRAHMACARYA) et la connaissance de soi (SVÂDYÂYA).

Comment gérer intelligemment son énergie et comment être maître de soi si nous sommes dénués de lucidité et de la connaissance de toutes nos composantes ?
Comment être dans une juste connaissance de soi sans inclure l’observation claire de nos pulsions et la bonne gestion de nos énergies (en particulier de la libido) ?

Le non-cumul, la non-possession (APARIGRAHÂ) et l’ouverture à la transcendance (ÎSHVARA PRANIDHÂNA).

Ne pas vouloir posséder ni accumuler des biens, entraîne une non avidité intérieure nécessaire pour pouvoir lâcher prise et nous ouvrir à d’autres dimensions. Notre liberté peut alors s’épanouir.
Quand nous sommes dans un état de plénitude rien ne manque, et ainsi disparaît tout désir d’accaparement, d’appropriation, de cumul, puisque tout est là.
On ne désire rien puisqu’on a tout.

Cette approche de complémentarité entre chaque YAMA et son correspondant dans les NIYAMA n’est, bien sûr, pas exhaustive. Tout se tient. On peut se rendre compte, après une lecture un peu attentive, que les YAMA et les NIYAMA forment ce qu’on pourrait appeler un DASHÂNGA (10 membres), l’ossature interne du corps du yoga. Tous les YAMA renvoient à tous les NIYAMA. En supprimer un seul reviendrait à une amputation, et donc installerait une situation de déséquilibre profond.

- Que nous disent les YAMA ? -

Soyez dans la non-violence, dans un état d’amour, de sincérité, d’honnêteté.
Sachez gérer vos énergies avec intelligence.
Sachez vous alléger de l’inutile, du passé, lâchez les chaînes des possessions, éloignez de vous avidité et convoitise.

- Que nous disent les NIYAMA ? -

Soyez propre dans votre peau et dans votre tête, clairs et nets.
Cultivez la tranquillité d’esprit et le contentement.
Vivez dans l’intensité, dans la totalité de vous-mêmes, en connaissance de cause, en sachant qui vous êtes, sans vous raconter d’histoires.
Ne limitez pas votre horizon, acceptez de vous laisser vous ouvrir à la transcendance.

- Résultats des YAMA -

Vous ne serez pas, ou plus, en butte à l’hostilité.
Vos actes seront efficaces et porteurs de fruits.
Vous recevrez de la vie des cadeaux inattendus.
Votre vitalité sera excellente, et vous connaîtrez réellement les modes de fonctionnement et les ressorts de l’existence, ses tenants et aboutissants.

- Résultats des NIYAMA -

Votre corps sera sain, immunisé, et vous ne serez pas source de maladies pour ceux qui vous côtoient. Vous serez, de même, amenés à éliminer les sources extérieures de pollution mentale, et vous ne serez pas quelqu’un de malsain pour ceux qui vous fréquentent.
Vous vivrez dans un état de bien-être et de bonne humeur, aptes à la concentration et à la perception de vos niveaux les plus profonds.
Vous serez pleinement heureux.
Toutes les toxines physiques et mentales seront brûlées, et vos potentialités se déploieront librement.
Il y aura une adéquation absolue avec tout ce qui fait partie de votre idéal, avec votre propre « chemin de lumière ».
Par le lien puissant à la transcendance se dévoileront l’état de Pleine Conscience et le large déploiement de tous les possibles.

Insérés entre l’énumération des YAMA, des NIYAMA et les commentaires, se trouvent deux sûtras qui prévoient les éventuelles résistances que l’on peut développer face à ces règles de vies, à ces « vertus » :

II,33 : « (si nous sommes) harcelés par le doute, il faut installer une attitude mentale opposée ».

Observons nos réactions vis-à-vis de ces préceptes. Essayons, si nous doutons du bien fondé de telle ou telle proposition (ou de toutes), d’analyser la nature du pourquoi de nos résistances.
Si nous avons une réaction impulsive de rejet, essayons d’analyser et de comprendre le sens profond de ces règles.
« Les obstacles à YAMA et à NIYAMA doivent être détruits par le discernement et la connaissance éclairée. » (IYENGAR)

Au lieu d’essayer de nous conformer à ces règles de façon artificielle, par exemple à vouloir nous afficher comme non-violents tout en restant profondément ancrés dans la violence, il faut vraiment comprendre les racines de notre violence, sans nous voiler la face, et étudier les forces qui vont dans l’autre sens de façon patiente et en les apprivoisant.
Il s’agit d’un processus interne de jaugeage et d’équilibrage mettant en place l’harmonie intérieure. Tout à fait comme dans l’expérience posturale, quand nous observons nos facilités et nos résistances pour installer ajustements et réajustements qui mettront en forme notre posture de façon harmonieuse, équilibrée, vivante et heureuse.

II,34 : « les pensées conflictuelles, comme la violence et autres…, générées, accomplies et approuvées (par nous), vont de pair avec l’impatience, la colère et l’égarement.
Qu’elles soient légères, moyennes ou fortes, leurs conséquences sont souffrance et confusion sans fin.
Il faut donc cultiver l’attitude opposée. »

PATANJALI complète le sûtra précédent en sous-entendant que la violence, le mensonge, le vol, l’intempérance, la possessivité et l’avarice (les « anti » YAMA), sont des mouvements conflictuels. Les pensées conflictuelles sont des pensées qui s’opposent au flot de la vie. Elles peuvent simplement rester à l’état de graines, de pulsions, ou bien il peut y avoir passage à l’acte. Nous pouvons aussi approuver et applaudir chez autrui de telles pensées ou actions. Peu importe si c’est de façon légère, moyenne ou forte. Leur caractéristique est de nous installer dans le mal-être.
A nous d’examiner le grand trouble, la souffrance, les problèmes que ces attitudes intérieures perpétuent. Le fait d’installer et d’alimenter une attitude qui va à l’opposé et ce, en toute connaissance de cause, va nous remettre dans le « droit » chemin.
Essayons de bannir les mouvements d’impatience, les bouffées de colère, l’agitation aveugle et erratique, terreaux de conflits et de perturbations. Chaque fois, jouons la patience, l’équanimité, le recentrage conscient et lucide.

Nous retrouvons chez PATANJALI cette constante du désir d’atténuer les causes de souffrance (« la douleur à venir peut et doit être évitée »(II,16) ) obstacle majeur au dévoilement de la pleine conscience.

Observons aussi son insistance à souligner l’importance des YAMA et des NIYAMA, et la certitude qu’il a d’une quasi universelle résistance à les approuver et à les appliquer, résistance toujours d’actualité. Car il est beaucoup plus facile d’être dans une discipline « externe » (la posture, le souffle) et même « interne » (le retrait sensoriel, la concentration, la méditation) quand on les aborde comme de simples techniques de bien-être ou de mise en forme, que se conformer à des règles « austères » demandant une attention et une vigilance de tous les instants, apparemment non immédiatement gratifiantes et surtout non spectaculaires.

Nous touchons là à la souche profonde du yoga. Notre « posture-racine » doit être cette mise en forme intérieure des YAMA et des NIYAMA. Elle devra rayonner dans chacune des mises en formes dans lesquelles nous nous installerons, que ce soit les postures, sur le tapis de yoga, ou nos attitudes, nos positions, dans la vie de tous les jours.

Prenons le pari, avec PATANJALI, d’avoir l’intime conviction du bien fondé, de la justesse et de l’efficacité de ces règles de vie. Car tout serait faux dans notre yoga si nous étions dans la violence, le mensonge, le vol, dans la déperdition de nos forces et la non maîtrise de nous-mêmes, si nous nous complaisions dans l’avarice, les peurs, dans la charge accumulative de biens, si nous nous installions dans la saleté, la mauvaise humeur, le ressenti, dans la mollesse, la paresse, la passivité, dans l’ignorance, l’aveuglement sur nous-mêmes ou la mauvaise foi et, bien sûr, dans l’enfermement intérieur.

Sans l’adhésion à ce qui compose une vraie éthique, il est inutile de prétendre être sur le chemin du yoga, ni sur n’importe quel autre chemin fait de clarté, de lucidité, d’authenticité. La responsabilité de nos pensées et de nos actes nous ouvre à notre liberté.

Les YAMA et les NIYAMA sont la porte de l’humanité.

Marguerite Aflallo, Yama et Niyama… (suite et fin), janvier 2009.