PARIVRITTA JÂNU SHIRSHÂSANA.
Aujourd’hui, abordons une posture en assise. Une de ces postures qui, vues de l’extérieur et avec le regard du néophyte, semble tout aussi difficile que belle.
Il s’agit de PARI VRITTA JÂNU SHIRSHÂSANA que l’on peut traduire par « posture en enroulement autour (et) tête au genou », communément appelée « la SPIRALE ».
MISE EN PLACE :
Asseyons-nous, jambe droite repliée, talon contre le périnée, la jambe gauche assez largement ouverte (selon ses possibilités), le pied gauche relevé.
Installer la stabilité du bassin sur le sol, et prendre conscience de la colonne vertébrale mise en tonicité de redressement. La main gauche sur la cuisse, poser la main droite sur le thorax, bien latéralement, sur les côtes.
Laisser venir le souffle sous la main, amplement, en sentant les côtes repousser la main à chaque inspiration.
Puis, tout en continuant à inspirer dans le poumon droit, expirer dans le poumon et le côté gauche qui va, progressivement, se refermer, en flexion, vers la gauche (veiller à ne pas pencher le buste vers l’avant). Ce faisant, la main gauche va glisser le long de la jambe gauche, tout en restant en contact avec celle-ci.
Quand on estime être arrivé dans sa limite de flexion, on saisit très fermement la jambe, ou le pied, avec la main, éventuellement en crochetant le gros orteil entre index et majeur. Le coude va se placer sur la face interne de la jambe, et même, si c’est possible, on peut lui proposer de venir en contact avec le sol.
Une fois installée la flexion à gauche, tout en conservant la main droite sur l’hémithorax, on va dégager le coude et l’épaule droits vers l’arrière et tourner le visage vers le ciel.
La posture est déjà là.
Mais, si on en a la possibilité et le goût, on peut aussi monter le bras droit, et, tout en veillant à ne pas obstruer le visage et le regard qui restent tournés vers le haut, la main droite va venir en contact avec le pied gauche.
S’INSTALLER :
Installons-nous en conscience dans cette forme.
Acceptons la fermeture forte de la jambe droite, rivée au sol, et l’ouverture de la gauche. Observons le grand repli du côté gauche, l’abdomen, le poumon, les organes internes, en compression-massage, en même temps que l’extraordinaire déploiement, étirement, respir, de tout le côté droit du buste, et la grande ouverture de la ceinture scapulaire à droite.
Cette posture va s’avérer être, une fois les deux côtés expérimentés, une formidable mobilisation en ouverture de la cage thoracique, du diaphragme, de la ceinture scapulaire et des bras, favorisant, entre autre, une très grande liberté du souffle.
La variante finale, quand les mains sont en prise sur le pied, installe une non dispersion énergétique et une mutuelle alimentation de ces outils de notre vie quotidienne. Si le gros orteil est crocheté, cela stimule le méridien foie – rate – pancréas et cela renforce l’étirement postérieur de la jambe, la nettoyant d’éventuelles accumulations de toxines musculaires. L’autre jambe, dans son fort repli, va mettre le genou vers l’avant, insistant ainsi sur la prééminence de cette articulation, tandis que le talon, en contact étroit avec le périnée, va nourrir le fond du bassin de ses puissances de redressement, comme une sève venue du sol.
Mais on ne saurait laisser de côté la mobilisation de la colonne vertébrale qui est amenée à expérimenter à la fois une très grande ouverture d’étirement, en même temps qu’une intense torsion depuis la première vertèbre « libre » au-dessus du sacrum, jusqu’à l’atlas et l’axis, tout en haut des cervicales. Cette « spirale » va mobiliser les possibilités de fluidité de la colonne vertébrale, l’amenant à un assouplissement extrême, à un essorage puissant, favorisant par là même une extraordinaire vitalisation du corps tout entier.
Nous expérimentons de façon très évidente STHIRA-SUKHA, une grande intensité et fermeté, en même temps qu’un lâcher prise rayonnant. Tout est mouvement intérieur, exploration, retour et nettoyage d’une polarité puis de l’autre.
La posture sera goûtée tant que les signes de saturation ne se font pas sentir. On revient alors en ramenant le bras, en redressant le buste, et en défaisant la position des jambes. Après une observation en détente assise, on s’installe tout aussi attentivement de l’autre côté.
Nous nous trouvons, avec la Spirale, dans une plongée du haut du corps vers le bas. Cette plongée sera plus le signe d’un retour volontaire vers les racines, qu’un abandon du désir de redressement, de verticalisation. Il n’y a aucune passivité, aucune complaisance paresseuse dans ce ploiement de la colonne vertébrale, puisque le visage et le regard restent impérativement tournés vers le ciel.
Mais ce ploiement n’a de raison d’être que la volonté de mettre en contact, ou du moins de rapprocher fortement, la tête du genou.
Le genou, grosse articulation, boule solide, est en quelque sorte la « tête » de cet outil de marche et d’avancée qu’est la jambe. Alimenté par la force musculaire des cuisses, et soutenu par celle des mollets, il est nourri en énergie par MANIPÛRA, dans l’abdomen, centre de la carburation et de la force physique du corps, mais aussi centre de la volonté. MANIPÛRA alimente la force du mental.
L’association genou-tête est logique. Les genoux sont la volonté de la marche, ils lui en donnent le rythme. La souplesse, les raideurs intérieures, le désir de puissance d’un individu peuvent se lire dans sa marche. Les marches raides et mécaniques des militaires indiquent une obéissance aveugle à une volonté extérieure.
Les genoux représentent le mental volontaire de notre avancée. Ils en sont le relais.
Poser la tête, surtout l’arrière du crâne, sur le genou, va le baigner dans une ambiance plus subtile, moins « mentalisée » que si c’était le front. Notre marche extérieure s’en trouvera imprégnée de finesse. Quant à la tête, son contact occipital avec le genou va stimuler, entre autres, le cervelet et le nerf optique, favorisant ainsi une plus claire vision et une sensibilité plus intuitive. Ce contact avec la petite boule solide du genou va aussi « plomber » et enraciner la tête dans le concret, notre marche intérieure s’en trouvera affermie, notre regard se tournera clairement vers le haut, évitant ainsi toute vacillation et toutes possibles divagations.
Chaque fois que nous revenons de la petite aventure qu’est l’installation dans une posture, restons ouverts à la compréhension de ses résonances, des plus physiques aux plus subtiles.
Avec cette posture, nous nous installons dans une grande dynamique d’ouverture et de fermeture, dans une extrême fluidité en même temps que dans une intensité d’une remarquable exigence. Le corps très proche du sol et très ancré dans la terre en même temps que le visage et le regard tournés avec bonheur vers le ciel vont accentuer ces ambivalences. Sous cet apparent petit exploit physique de souplesse se cache une posture plus secrète. En nous installant dans la Spirale nous favorisons, par la voie royale d’une colonne vertébrale souple et vitalisée, la montée libre et consciente des énergies souterraines. Nous développerons aussi le désir de relier profondément notre puissance d’agir avec la finesse réflexive et avec l’ouverture spirituelle.
Cette « Spirale » nous montre qu’en yoga nous ne devons pas nous arrêter à une forme posturale extérieure, aussi séduisante et belle qu’elle soit, mais que nous devons aussi ouvrir notre compréhension à des pistes plus subtiles, faisant de notre pratique un cheminement d’ouverture et de construction profonde.
Marguerite Aflallo, La spirale, janvier 2009.