YAMA – NIYAMA
Le yoga est un enseignement de transmission orale. Peu de textes écrits lui sont entièrement consacrés. Néanmoins, il en est un, incontournable pour les chercheurs du yoga, rédigé par un grammairien nommé PATANJALI, sans doute aux alentours du 2ème siècle avant notre ère, qui s’appelle les YOGA SÛTRA.
Il ne s’agit pas d’un manuel technique, mais d’un point de vue philosophique sur la nature du yoga et sur notre vivre en yoga. Ce traité se présente sous forme d’aphorismes, c’est-à-dire de phrases courtes, lapidaires, destinées à être apprises par cœur et chantées. Quand nous ouvrons les YOGA SÛTRA, nous nous trouvons face à deux particularités :
- d’une part, la forme aphorisme qui laisse une certaine marge d’interprétation, par exemple « tel père, tel fils » qui peut être interprété comme « tel parle le père, tel parle le fils » ou bien « aussi grand est le père, aussi grand est le fils » , ou encore « aussi têtu est le père, aussi têtu le fils », etc…
- et d’autre part, les mots en sanskrit ayant pour la plupart une large palette de significations, leur traduction va être totalement soumise à l’expérience du traducteur.
Il ne peut pas y avoir, dans les YOGA SÛTRA, de traduction définitive, clôturée, et aucune ne peut se prétendre être exacte, reflet d’une vérité absolue.
Et là, nous touchons à la magie de cet ouvrage. Nous nous trouvons face à un livre « ouvert », « vivant », qui va nous renvoyer toujours à nous-mêmes et à notre vécu. Dans les YOGA SÛTRA, un mot peut avoir une résonance très forte pour certains, pour d’autres ce sera un autre. Des groupes de sûtras, qu’ils se suivent ou non, peuvent s’utiliser en fonction des besoins du moment. Le fil qui les relie apparaîtra à chacun d’entre nous selon notre expérience. Il s’agit donc d’un outil qui est fonction de notre pratique. Avec cet ouvrage, il faut abandonner un désir de lecture et de saisie uniquement intellectuelles, car il s’adresse à une expérience totale de l’individu pris dans sa globalité physique, énergétique, psychologique, spirituelle. Et la compréhension que nous en avons évoluera au fil des ans, s’étoffant et s’approfondissant chaque fois plus, à l’aune de notre propre démarche.
Un peu de sémantique :
YOGA : le lien, ce qui relie, ce qui rassemble ce qui est dispersé. Le mot « yoga » peut recouvrir la notion de moyen ou bien celle d’état (ou les deux). Pour PATANJALI, il s’agit essentiellement de l’état d’union.
SÛTRA : fil, cordon (ce qui tient tout en reliant), ligne (ce qui souligne et aussi ce qui indique la direction), règles (de grammaire), traité.
YOGA SÛTRA peut être compris comme le fil qui nous mène à l’état d’union.
Ce livre comporte 4 chapitres et 195 (ou 196, selon les éditions) aphorismes :
SAMÂDHI PÂDA : pas vers la Pleine Conscience
SADHÂNA PÂDA : avancées dans la méthode
VIBHÛTI PÂDA : pas vers les possibilités élargies (ou vers tous les possibles)
KAIVALYA PÂDA : pas vers la libération, vers la liberté.
Nous pouvons remarquer que PÂDA marque chaque chapitre. Du verbe PAD (se rendre à, aller, marcher), PÂDA se traduit par : enjambée, PAS, pied, signe (ou même case de l’échiquier). PATANJALI semble insister sur l’idée d’une marche où, petit pas, grand pas, chacun avancera à son rythme, soulignant ainsi le caractère personnel du cheminement intérieur à la lecture des YOGA SÛTRA.
LES « HUIT MEMBRES ».
Dans le deuxième chapitre, celui de la méthode, PATANJALI va nous parler de l’agir en yoga (KRIYÂ YOGA). Ce terme-là a un parfum d’acte qui purifie, qui nettoie. Que doit-on faire, concrètement, pour favoriser l’apparition de la pleine conscience et pour réduire les obstacles, et en particulier les sources de tourments.
Après avoir décrit les sources de tourments, il en arrive au sûtra II,28 :
« La pratique solide des membres du yoga amenant la destruction des impuretés, alors la lumière de la connaissance conduira à VIVEKA (l’intelligence de discernement) »
Il va y avoir 8 membres (ASHTANGA) :
les YAMA et les NIYAMA (règles de vie), ÂSANA (la posture), PRÂNÂYÂMA (le contrôle de l’énergie vitale, du souffle), PRATYÂHÂRA (l’émancipation de l’emprise de l’extérieur), DHÂRANÂ (la concentration), DHYÂNA (la méditation), SAMÂDHI (la pleine conscience, l’état d’unité).
Des 31 sûtras qui parlent des 8 membres, 15 vont être consacrés aux YAMA et aux NIYAMA. Cette large place faite à ces deux premiers membres mérite que nous nous y penchions plus attentivement qu’un simple et rapide survol. Car, à première vue, nous sommes devant une liste de quelques préceptes moraux, identiques à ceux dont on nous a rebattu les oreilles dans notre enfance, ce qui fait que nous pouvons en avoir une lecture un peu impatiente et condescendante.
De quoi s’agit-il ?
YAMA: du verbe YAM : brider, dompter, tenir en main, mettre en ordre. C’est la maîtrise. Pour PATANJALI, les yamas sont au nombre de cinq. Ils vont concerner nos relations avec les autres, avec le monde, et aussi avec nous-mêmes.
On peut les traduire par : RÈGLES DE VIE.
II,31 : « Les yamas ne sont pas limités par le milieu social, le lieu, le temps, les circonstances. Ils sont la grande règle partout dans le monde. »
D’emblée, PATANJALI nous précise que ces règles se situent par-delà les caractéristiques sociales et culturelles propres à chaque communauté humaine. Cela s’adresse à l’homme dans son universalité. Il souligne ainsi que l’être humain est fondamentalement le même à toute époque et partout dans le monde. Et, ce faisant, la plupart de ce que nous croyons être des règles définitives et incontestables, parce que traditionnelles, vont s’avérer n’être que règles de circonstances. Les yamas sont une éthique. Ils composent les lois , incontournables, du DHARMA humain :
( 1 ) AHIMSÂ – la NON-VIOLENCE.
De HIMSÂ : blesser, tuer, détruire, et du préfixe privatif : A- ne… pas. C’est le respect de la VIE sous toutes ses formes. Il ne s’agit pas simplement de ne pas tuer, mais aussi de ne pas nuire, car certains actes ou certaines de nos paroles peuvent blesser à mort. La violence peut être aussi comportementale .
AHIMSÂ, c’est la NON-NUISANCE.
C’est cultiver les forces de vie, de tolérance, et tout ce qui est constructif. C’est la NON-DESTRUCTION. Dans ses commentaires, Gérard Blitz soulignait que quand on cultive les forces de vie et ce qui est constructif, tout en étant attentif à ne pas faire de mal, se développe un état d’amour. AHIMSÂ, c’est ÊTRE DANS UN ÉTAT D’AMOUR. Quand s’installe et se développe cet état, il va y avoir une observation attentive, respectueuse et bienveillante vis à vis des autres. Alors pourra s’épanouir la BONTÉ. Ne soyons plus en situation de rivalité avec quiconque, ne cherchons pas à nous comparer, à nous valoriser, ne développons aucune mainmise ni aucune emprise sur autrui. Mais surtout, cette non-violence doit s’appliquer à nous-mêmes. La violence vis-à-vis de nous-mêmes est parfois très sournoise :
VIOLENCE PHYSIQUE : quand nous martyrisons notre corps en lui imposant des activités qui le blessent, qui l’épuisent, ou des régimes alimentaires aberrants (dans un sens ou dans l’autre).
VIOLENCE DES PENSÉES : les pensées sont des actes. Avoir le désir de tuer ou de blesser quelqu’un est aussi moralement destructeur pour nous que de l’accomplir.
La violence des pensées peut se tourner vers nous-mêmes. Quand nous nous méprisons, quand nous nous détestons, quand nous nous dégradons par manque de respect, d’amour et de considération.
VIOLENCE MORALE : cela peut être quand nous nous installons dans de fausses identifications en acceptant la domination des images que les autres se sont faites de nous, à tous les niveaux -familial, social, religieux -(par exemple accepter la misogynie). C’est accepter ce que certaines traditions et leurs échelles de valeurs nous imposent. La violence morale c’est accepter de nous conformer à ce qui se fait ou ne se fait pas, à ce qui doit se penser ou ne pas se penser.
HIMSÂ, c’est quand nous sommes soumis à tout ce qui est fondé sur le mensonge, l’injustice, la violence et l’exploitation, à tout ce qui nous coupe de l’ouverture, de la beauté, et finalement de l’amour et de la liberté. Quelqu’un de libre ne souhaite asservir ni faire violence à personne. AHIMSÂ, c’est se libérer de toute la violence qui nous est faite. C’était le grand vœu de Gandhi.
II,35 : « L’hostilité disparaît autour de celui qui est fermement établi dans la non-violence. »
Il s’agit d’un jeu de miroir sans fin. Si nous sommes violents, le retour sera de la violence. Face à la spirale sans fin de la loi du Talion, sans lâcheté ni démission, s’installer dans un état très sincère, lucide et réfléchi de respect et d’amour, imprègnera notre environnement. Et le retour sera peut-être de l’apaisement et de la non-nuisance, car quand nous sommes en paix avec la vie, quand nous coulons avec son flot, cela crée un espace libre des sentiments qui génèrent la violence comme la jalousie, la colère ou la peur. Si nous sommes fermement établis dans la non-violence, nous développons l’écoute et le respect de l’autre qui va rester dans sa liberté. La fraternité en sera le fruit, et balayera l’indifférence ou le mépris.
Notre pratique de yoga va être pour nous le révélateur de notre attitude profonde. Observons comment nous vivons les postures et le souffle, en une écoute profonde, sans a priori. Installons VIVEKA (l’intelligence de discernement). Tout doit aller dans le sens de la construction et pas des blessures ni de la destruction. Soyons dans le respect de notre corps, celui du souffle, et aussi de notre démarche en yoga.
De la non-violence découlera tout le reste.
( 2 ) SATYA - ÊTRE DANS UN ÉTAT VRAI.
de SAT , issu de la racine AS- : être. C’est être vrai, authentique. C’est la vérité, la véracité, la SINCÉRITÉ. SATYA, c’est ne pas mentir, ni aux autres ni à soi-même. Pas de paroles trompeuses, ni erronées, ni impuissantes à donner une compréhension correcte. Mais c’est aussi ne pas dire systématiquement la vérité, car quelquefois dire la vérité peut apporter le malheur ou la souffrance. La vérité doit s’établir sur la non-nuisance, sur la non-violence. Là, le discernement s’impose.
« Il faut dire la vérité agréable, la dire agréablement, ne pas dire la vérité qui fait du mal, mais ne jamais mentir pour faire plaisir ». (Mahâbhârata, in « Yoga Sûtra » de B.Bouanchaud)
Être dans un état vrai, authentique, présuppose que l’on ne s’en tient pas aux apparences. On peut être abusé par une interprétation limitée de nos sens, de notre ego, ou par un savoir superficiel. C’est ne pas rester dans le faux. On retrouve là un des obstacles cités dans le premier chapitre, une des structures de fonctionnement du mental, VIPARYAYA, les idées fausses, ainsi que dans I,30 BHRÂNTIDARSHANA : l’erreur de jugement, de discernement. C’est aussi ne pas accepter les on-dit sans vérification. Le respect de la vérité doit passer aussi par une attitude où l’on évite l’exagération, la tromperie, la simulation et l’hypocrisie.
SATYA, c’est ne pas se leurrer soi-même, ne pas s’installer dans la « mauvaise foi », ne pas vouloir donner aux autres ni à soi-même une image fausse de la réalité, de ce que nous sommes vraiment. Cela va de l’acceptation du passage des ans en ne cédant pas à la tentation, par exemple quand on a soixante ans, de vouloir ressembler à un sémillant jeune homme ou à une blonde jeune fille, jusqu’à l’honnêteté du refus à jouer les êtres réalisés, les « maîtres », les parangons de vertu. Il va y avoir, avec SATYA, une profonde obligation à être dans la franchise, la lucidité, la simplicité, la justesse.
SATYA, c’est l’authenticité.
II,36 : « Pour celui qui est fermement établi dans SATYA, l’action porte ses fruits ».
Les actes de celui qui est dans un état vrai, sincère, seront parfaitement efficaces, car non entachés d’arrières pensées qui dispersent et alourdissent. Son énergie sera pure de scories. Dans notre pratique de yoga, ne nous racontons pas d’histoires. Nous pouvons très bien imaginer et projeter les sublimes expériences dont nous avons le désir mais que nous ne vivons pas. Ne soyons pas dans l’illusion, ne nous mentons pas. Il y a de la légèreté à accepter nos difficultés et à nous voir, lucidement, tels que nous sommes. Nous serons en harmonie avec nous-mêmes. C’est ainsi que se feront nos avancées les plus profondes et durables.
Cultiver le silence va aussi nous apporter une plus grande clarté et favoriser cet état de sincérité intérieure.
( 3 ) ASTEYA - LE NON-VOL, L’HONNÊTETÉ.
STEYA : vol, larcin, A-(privatif) : ne… pas. ASTEYA, c’est ne pas s’approprier indûment quelque chose, ne pas dérober à d’autres ce qui ne nous appartient pas. Voler et être malhonnête sont incompatibles avec le chemin du yoga. Et pas seulement sur le plan matériel. Ne nous attribuons pas les mérites ou les découvertes d’autres personnes. Il faut, le plus possible, citer nos sources. Soyons dans l’honnêteté intellectuelle, dans la probité.
II,37 : « Pour celui qui est fermement établi dans le non-vol, tous les bijoux apparaissent. »
Ou, pour reprendre la célèbre traduction de Gérard Blitz : « Lorsque le désir de prendre disparaît, alors tous les bijoux apparaissent. »
Ces « bijoux », ces « joyaux », sont ce qu’il y a de meilleur, de plus « riche », de plus beau dans tous les domaines : matériels, intellectuels, spirituels. Et, de même que ne pas tuer n’est pas garant que nous soyons dans la non-violence, de même ne pas voler un objet ne nous dédouane pas d’une attitude malhonnête. Si nous lâchons l’envie et la convoitise, nous serons dans une grande liberté intérieure qui nous ouvrira les portes les plus scellées.
Plus subtilement, pour VIMALA THAKAR, ASTEYA c’est ne pas dérober volontairement une partie de nous-même à la totalité de nous-même. Ne pas rester volontairement dans le morcellement, dans l’en deçà de nos possibilités, ne pas nous voler à nous-mêmes nos propres richesses. Ce qui fait écho avec SATYA, être dans un état vrai. Dans notre pratique, éliminons le désir-convoitise de nous approprier une posture idéale, venue de l’extérieur, celle d’une autre personne, d’une image, d’une photographie. Si nous nous sentons frustrés dans notre expérience du yoga, c’est que nous désirons faire nôtre un vécu qui ne nous appartient pas, celui, « idéal », d’un enseignant, d’un grand maître. Ce n’est pas à nous. Ce qui nous appartient, c’est notre expérience et pas celle d’autrui.
Si nous plongeons avec simplicité, ouverture, plaisir et honnêteté dans notre propre aventure, alors « tous les bijoux apparaîtront».
( 4 ) – BRAHMACARYA – LA JUSTE GESTION DE L’ÉNERGIE – LA MAÎTRISE.
BRAHMA : de la racine BRIHM : croître, grandir, être en état d’expansion, dieu de la création, il est l’énergie première de la création et ÂCÂRA : conduite, pratique, règle.
ÂCÂRYA : celui (ou ce) qui nous aide à aller vers l’objectif recherché, par extension : le maître, l’instructeur.
Il s’agit d’une situation où l’on cherche à atteindre l’état de croissance, d’accomplissement. Le jeune étudiant est un BRAHMACARYN. Il y a à la fois une idée de croissance et de recherche, en même temps que de canalisation de la formidable énergie créatrice que nous avons en nous, l’énergie la plus puissante, l’énergie sexuelle. Ce qui fait que les traducteurs et commentateurs qui sont dans la voie monacale traduisent BRAHMACARYA par ABSTINENCE ou CHASTETÉ. Ce choix vient de l’idée que si l’on peut conserver cette énergie à l’intérieur, on disposera d’un potentiel extraordinaire que l’on peut utiliser pour la croissance spirituelle. Le yoga s’adresse à l’homme dans le monde, qu’il ait fait ou non le choix du célibat. Il n’est pas intrinsèquement une voie monacale. BRAHMACARYA aura des implications différentes selon qu’il s’adresse à un renonçant ou à une personne engagée dans la vie sociale et familiale.
« Dans la vie de couple, BRAHMACARYA est une attitude positive qui consiste à respecter, honorer et satisfaire les aspirations et désirs de son conjoint. La pulsion sexuelle, maîtrisée, est offerte et partagée dans une relation généreuse et fidèle. » Claude Maréchal (VINIYOGA n°81)
« Selon la tradition, BRAHMACARYA consiste aussi à rencontrer son épouse en vue de préserver RITA (l’ordre des choses, le DHARMA). Cette qualité d’être existe donc aussi chez ceux qui mènent le genre de vie séculier ».
YOGAYÂJNAVALKYAM (I,57)
Il ne s’agit pas, bien sûr, de se laisser aller à une débauche pulsionnelle mais, sans frustrations, ni honte ni culpabilité, à maîtriser et à savoir gérer cette formidable énergie qu’est la « libido ». L’énergie sexuelle est d’une importance fondamentale, elle doit être contrôlée et utilisée avec grand soin, car, même à un niveau frustre et premier, l’acte sexuel est aussi un don de conscience. Nous retrouvons l’idée de tempérance, de retenue et de mesure du premier chapitre, où l’intempérance est citée comme un obstacle majeur à la pleine conscience (I,30). Le BRAHMACARYN est celui qui est à la recherche de l’essentiel et qui vit dans l’unité, dans la non-dualité. La vie ne peut être fragmentée. Lutter contre l’énergie sexuelle c’est entrer dans le conflit, les tensions, dans la dualité. Il va y avoir un énorme gaspillage d’énergie, et cette énergie-là n’est pas à part de l’énergie créatrice.
On peut, bien sûr, ne pas ressentir la nécessité de se marier, d’avoir des relations sexuelles, c’est une question de tempérament et pas d’obligation de chasteté. Beaucoup de facteurs entrent en jeu dans BRAHMACARYA. Tout va dépendre des personnes, de leurs dispositions naturelles, de leur âge, de leur niveau, des circonstances. Ce qui peut être nocif dans certains cas peut être bénéfique dans d’autres. L’important, c’est d’avoir une approche saine de la sexualité, en installant ce que Bouchart d’Orval appelle une « maturité amoureuse ».
Progressivement se mettront en place des qualités de respect et d’attention qui favoriseront l’équilibre, la tendresse et la stabilité de la cellule familiale. Si notre choix est celui de l’abstinence, n’ayons pas d’attitude rigide, intolérante, ne développons pas d’antipathie vis à vis du sexe opposé, ni de culpabilité, ni de refoulement honteux.
II,38 : « Celui qui est fermement établi dans la maîtrise obtient une très bonne vitalité (VÎRYA :vigueur, énergie, vitalité) »
Le non-gaspillage et la non-déperdition des énergies sont nécessaires pour entretenir vigueur et vitalité. Tout revient toujours à une bonne et intelligente gestion de notre énergie.
BRAHMACARYA c’est aussi s’installer dans le silence plutôt que dans des caquetages et bavardages épuisants. C’est ne pas être dans l’agitation, tourner en rond, courir de-ci de-là. C’est manger moins, mieux, ou ne pas manger pendant quelque temps. Les digestions lourdes sont de grandes mangeuses d’énergie. De manière générale, il faut définir nos priorités, de façon à canaliser les énergies là où c’est nécessaire pour ne pas être en conflit (lui aussi grand mangeur d’énergie).
Finalement, BRAHMACARYA c’est aller vers l’essentiel. Les BRAHMACARYN sont des chercheurs de l’Essentiel. Nous devons gérer notre pratique consciemment et aller là aussi à l’essentiel, c’est cela la « maîtrise ». Enlever les tensions, gommer les dispersions, tout canaliser là où c’est nécessaire, comme un rayon laser qui, en se concentrant, en se resserrant, devient de plus en plus puissant en force et en portée.
(5) – APARIGRAHÂ - LA NON-ACCUMULATION, LA NON-POSSESSION.
PARIGRAHÂ : accumulation, possession, propriété, et A privatif.
Les possessions, et, plus que cela, le sentiment de propriété, nous enchaînent dans une dialectique impitoyable. Nous sommes possédés, immobilisés, aveuglés par ce que nous appelons nos « biens », par tout ce qui nous donne l’illusion d’être riches et importants. Et cela déborde le fait de posséder des lingots d’or, des rivières de diamants, des propriétés luxueuses. Cela peut s’appliquer à des timbres-poste, à des relations sexuelles, à des voyages, à des postures de yoga. On peut être le « propriétaire » d’une femme (ou d’un homme), de nos enfants, du bol du petit-déjeuner, propriétaire d’idées, propriétaire d’un passé auquel on s’accroche comme à une bouée de sauvetage.
APARIGRAHÂ, c’est ne pas être avare. C’est être dans la fluidité de la circulation des énergies. Ne pas les bloquer en accumulant tous les boulets que l’on traîne après soi. C’est enlever les peurs d’être dépossédés : de son argent, de ses certitudes, de son passé. En enlevant la peur « de manquer », nous serons dans une grande aisance, nous serons dans la liberté. Rien ne manque puisque nous avons l’essentiel.
II,39 : « Celui qui est fermement établi dans la non-possessivité, a la connaissance du pourquoi et du comment de l’existence ».
En laissant tomber le sentiment de propriété et le désir d’accumulation, nous allons libérer une énergie et un temps que l’on peut consacrer à la recherche et à la compréhension du sens de la vie. Il s’agit d’élaguer. On lâche l’inutile, ce qui ne sert plus, et cela laisse de la place. L’esprit libre, on ouvre les yeux sur le monde. Cela nous permet de comprendre que nous sommes venus à l’existence sans rien, et que nous n’emporterons rien avec nous. Cela laisse de la place pour l’épanouissement de sa conscience et de sa liberté.
Bien sûr, APARIGRAHÂ n’est pas une répression. Il est aussi malsain de courir après les privations et la misère qu’après la richesse et le désir d’accumuler des possessions. Nous ne sommes pas « propriétaires » du yoga, de la posture, du savoir que nous avons acquis. Ne devenons pas lourds et stratifiés en nous prenant pour des savants émérites, confits et boursouflés de connaissances et de suffisance. Soyons dans la gratuité de notre expérience, en développant le sens du jeu (LÎLÂ) qui va donner fluidité et profondeur à notre vécu.
Dans le chapitre I, sûtra 12, nous trouvons déjà cette notion de APARIGRAHÂ :
« La cessation des fluctuations du mental s’obtient par une pratique intense, persévérante (ABHYÂSA), et le détachement, la non-identification, le lâcher prise (VAIRÂGYA) ».
EN CONCLUSION
Loin des préjugés qui pensent les yogis en fuite ou « au-dessus » des réalités quotidiennes, avec les YAMA nous nous trouvons dans l’évidence que l’homme ne pourra accéder à rien de ce qui fait son humanité et sa spiritualité, s’il n’est pas intégré dans le tissu social et dans celui du monde, dans un rapport conscient, responsable et juste vis à vis des autres et, par ricochet, de lui-même.
Avec les YAMA vont se dessiner quelques lignes de force, guidant notre cheminement dans le monde.
Nous devons élaguer le superflu, l’inutile, le lourd. Ne laisser aucune prise à quoi que ce soit de violent, de nocif, de pervers. Ne pas gaspiller notre potentiel énergétique. Nous devons développer un état d’amour, de sincérité, d’honnêteté.
Avec les YAMA, nous allons commencer à cultiver l’impeccabilité qui est peut-être, si l’on y réfléchit bien, notre fil conducteur le plus important sur le chemin de la connaissance.
Marguerite Aflallo, Yama et Niyama… , été 2008.