Vishnou sur Ananta.

vishnou_sur_anantaVISNVANANTASAYANÂSANA.

Nous pourrions, aujourd’hui, aborder une très belle posture sur le sol. Une posture qui porte déjà dans son nom de profondes résonances mythologiques et spirituelles. Il s’agit de la posture de « Vishnou couché sur Ananta ».
Mais, tout d’abord, installons-nous.

MISE EN PLACE TECHNIQUE :

Nous sommes couchés sur le côté gauche, le bras gauche dans le prolongement du buste, en un premier temps l’oreille et la tête reposent sur le bras. La main droite se place au sol devant le corps.

Sur une inspiration, on va monter la jambe droite en l’ouvrant latéralement et en restant dans l’axe exact de la jambe du dessous. A poumons pleins, on pivote le pied vers le ciel, ce qui amène une rotation au niveau de l’articulation coxo-fémorale. Sur l’expiration, en pliant le genou, on pose le pied droit sur la face interne de la jambe gauche. Le pied restant dans l’axe de la jambe du dessous et au niveau où on peut maintenir le genou dirigé vers le haut sans trop de difficulté. Ce qui fait que, selon les morphologies, le pied se trouvera au niveau du mollet, ou du genou, ou de la cuisse de la jambe du dessous.
Ensuite (ou auparavant) on va plier le coude gauche en même temps qu’on soulève la tête, de façon à pouvoir placer la main gauche sous l’oreille gauche. Le coude va alors être poussé vers l’avant , toujours dans le prolongement du corps, de façon à rapprocher le plus possible le niveau de l’aisselle du sol.
Enfin, en veillant à maintenir le ventre très tonique, sans se presser, sur plusieurs respirations, la main droite va saisir le gros orteil droit, ou la cheville, ou le mollet, et l’on va proposer à cette jambe de s’ouvrir vers le haut sans, bien sûr, modifier la position du bassin qui restera en contact avec le sol dans sa partie la plus étroite, celle de la hanche. La fesse ne se posant pas sur le sol.
Puis, après quelques respirations, le pied reviendra de nouveau sur la jambe du dessous, le genou toujours dirigé vers le haut, la main droite au sol devant soi ou bien posée sur le genou.
A ce moment-là les paupières peuvent s’abaisser et l’on peut émettre de façon très douce le PRANAVA (le son OM), au moins six fois.
Quand le son externe aura cessé, continuer à cultiver ce même son intérieurement, en le réduisant jusqu’à rester dans l’écho vibratoire.
Défaire doucement la posture, revenir sur le dos et rester dans l’imprégnation.

Bien sûr, on abordera l’autre côté, en veillant à remettre en place de la tonicité au niveau du ventre, car il s’agit d’un équilibre et, comme pour tout équilibre, le jeu «sthira-sukha» se fait plus que jamais indispensable. Dans ses YOGA SÛTRA, Patañjali définit la posture comme devant être à la fois « ferme » (sthira) et « douce, heureuse » (sukha).

PRÉPARATIONS :

Pour vivre de façon optimale cette posture, il va nous falloir au préalable insister sur l’ouverture de l’articulation coxo-fémorale et expérimenter son amplitude de rotation.
Pour ce faire, il est une dynamique que l’on appelle l’ÉVENTAIL, souveraine pour la mobilisation de cette articulation majeure (voir en fin d’article).
La ceinture scapulaire et l’articulation humérale devront être dégagées elles aussi avec, par exemple, des DEMI-LUNES debout ou couchées.
Une tonification de MANIPÛRA n’est pas à négliger non plus.

RÉSONANCES :

Nous nous installons dans une posture qui est un équilibre sur le sol, induisant à la fois une très grande détente intérieure et exigeant une acuité sans faille. Cette acuité sera suscitée et entretenue par la position du coude replié, la main sous l’oreille, attitude d’écoute à l’intérieur d’une position de repos.
Mais ce repos n’est qu’apparent car le maintien de la jambe repliée, le genou vers le haut, l’aine très ouverte, demande une grande intensité. Encore plus, bien sûr, dans la variante où la jambe est tendue vers le ciel. D’où l’exigence, pour ne pas vaciller dans la posture, de conserver la zone du ventre très ferme.
La fermeté, l’abandon, une acuité fluide, développent un état fait de grand apaisement et de grande profondeur.
Les vibrations sonores du PRANAVA contribuent au développement de la posture dans l’espace. L’ouverture vibratoire éradique tout ce qui peut « cuirasser » cette mise en forme, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

RÉFÉRENCES COSMOGONIQUES :

VISHNOU couché sur ANANTA… pour un certain nombre d’entre nous cette phrase est totalement énigmatique.
Des trois grands dieux du panthéon classique, BRAHMA, VISHNOU et SHIVA, il est celui du milieu.

Il faut savoir que les dieux représentent des puissances, des qualités, des objectifs.
VISHNOU est entièrement consacré aux forces de préservation.
Il est tout ce qui protège la vie. Il veille à ce que les cycles s’accomplissent selon les lois du DHARMA (l’ordre cosmique et moral) et il met tout en œuvre pour que rien ne vienne perturber ou stopper le cours des choses, et cela à tous les niveaux, du plus macrocosmique au plus microscopique.
Il va être le dieu de l’équilibre, de l’harmonie, du devoir, de l’amour et de la beauté.
Si, durant les cycles de manifestation, son action et sa vigilance sont permanentes pour maintenir l’équilibre du monde, en particulier en s’incarnant dans de multiples AVATÂRA, ensuite, quand tout s’achève et se consume, quand tout se résorbe dans l’Océan Primordial, VISHNOU entre dans le grand sommeil.
Entre deux manifestations, dans cet état de latence infinie, inconcevable suspension du souffle cosmique, VISHNOU est représenté, comme assoupi, semi-couché sur les anneaux du grand serpent ANANTA-SHESHA, à la surface des eaux originelles.
Il est plongé dans ce qu’on appelle la YOGA NIDRÂ, ni dans l’inconscience du sommeil profond, ni en état de veille. Ce « sommeil en yoga » s’apparenterait plutôt au rêve éveillé ou aux états méditatifs.
Quand il se trouve ainsi, entre deux manifestations, on l’appelle NÂRÂYANA, nom particulièrement lié aux fonctions créatrices du divin. VISHNOU rêve les mondes futurs.
De son nombril s’élève le cordon ombilical d’une tige de lotus, et, tout en haut, dans la coupe des pétales épanouis, se trouve BRAHMA, prêt à entrer en action pour créer une nouvelle manifestation.

VISHNOU se trouve sur la couche pulsante des anneaux du serpent ANANTA, l’INFINI, dont les 1000 capuchons forment un dais de protection au-dessus de sa tête, en un enveloppement quasi matriciel.
Pour les indiens, le serpent représente, dans le monde animal, ce qui est le plus proche de la fulgurance et de la puissance de l’énergie.
Il est un animal des profondeurs physiques (terre, eaux) et, par analogie, des profondeurs de la conscience. Et surtout, comme les oiseaux, ses éternels ennemis-complémentaires, il est un « deux fois né », un animal-brahmane, associé donc à la transformation et à l’évolution spirituelle.
Cette énergie cosmique abyssale, représentée par ce grand serpent, on l’appelle aussi SHESHA, le RESTE. Car toute manifestation qui s’achève laisse un reliquat, un héritage, sur lequel pourra s’appuyer la manifestation suivante. Autrement, tout repartirait éternellement à zéro, et la spirale des cycles des temps ne pourrait pas croître en un mouvement ascendant, évolutif. Car, sans matériau initial à transmuter, il n’y a point d’évolution possible.

APPROFONDISSEMENTS :

Dans cette posture, nous nous installons dans l’immobilité, nous plongeons dans le silence. Nous lâchons les tensions, les objectifs, le volontarisme. Nous lâchons le vieux monde.
Il y a comme un grand soupir de la totalité de notre être, et ce soupir amène le sourire intérieur.
Cependant, la position relevée de la tête induit la vigilance. Nous ne nous endormons pas même si nous sommes dans une profonde quiétude.
Nous sommes dans l’accueil des remontées souterraines.

Mais l’équilibre nous obligeant à être dans l’ « ici et maintenant » va empêcher que nous ne soyons emportés dans le vertige des imprégnations du passé. Au contraire.
La position de la jambe, dans ses deux variantes, va nous obliger à maintenir l’aine très ouverte, ce qui ne peut se faire que dans un vécu de présence dynamique. Et nous retrouvons la sollicitation de l’articulation coxo-fémorale, dont l’amplitude d’ouverture va induire de plus larges possibilités dans notre choix de chemins.
L’ouverture de l’aine nous tourne vers l’avenir.
L’émission du son, et surtout l’imprégnation de son écho vibratoire, vont contribuer à développer la perception que la vie est toujours là, souterrainement pulsante, conscience et énergie. Et nous sommes , tel VISHNOU, dont les pieds sont amoureusement massés par sa parèdre LAKSHMÎ, qui lui prépare ainsi une marche plus libre dans les mondes à venir, conviés, dans cette posture, à favoriser nos avancées futures. Notre marche à venir est déjà là, toute entière enracinée dans le ciel.
En vivant la posture « VISHNOU couché sur ANANTA », nous allons nous installer dans un moment fait de joie, d’équilibre et de liberté . Et surtout, nous laisserons libre cet espace nécessaire pour que se développe en nous le germe de tous les possibles.

L’EVENTAIL (jambes)

Nous sommes couchés sur le côté gauche, le bras gauche dans le prolongement du corps, la main droite posée sur le sol devant soi, les jambes l’une sur l’autre, les pieds aussi, mais perpendiculaires par rapport aux tibias.
En inspirant, on amène le genou droit, au ras du sol, vers la poitrine, on déplie la jambe, toujours au ras du sol, et on la monte à la verticale.
Sur l’expire, la jambe, toujours tendue, s’abaisse vers l’arrière et on pose le pied sur l’autre.
Puis, en inspirant, on repart vers l’arrière, jambe tendue au ras du sol, et on monte. Sur l’expire, la jambe, toujours allongée, vient vers la poitrine, au ras du sol, puis on plie le genou et on pose la jambe sur celle du dessous.
Cet exercice peut être répété un certain nombre de fois. Observer. Et, bien sûr, changer de côté.

UN PEU PLUS SUR VISHNOU…

Bien qu’installé sur sa couche, et en état de YOGA NIDRÂ, VISHNOU ne quitte pas ses attributs : le disque qui tourne autour de son index droit, la conque, le lotus, la massue. Une de ses mains reste toujours en ABHAYA MUDRÂ, le geste de protection (il offre sa protection et il est en même temps bouclier protecteur).

Le DISQUE :
Puissance rayonnante d’illumination. Il est à l’image du soleil, à la fois source de vie tout aussi bien que destructeur. Et cette destruction sera celle de l’ignorance.
Tel un boomerang, lancé par VISHNOU, il décapite les démons qui représentent les forces obscures.
Le disque représente la connaissance d’éveil.

La CONQUE :
Issue de la mer, sa forme la fait associer au YONI, la vulve féminine, donc aux origines de la vie. Elle représente les eaux matricielles, à la fois humaines et cosmiques.
Sa forme spiralée la lie à la structure même des mouvements de l’énergie, surtout à ceux de l’infini.
Elle est aussi, bien sûr, associée au tout premier souffle et au son primordial, le PRANAVA (OM).

La MASSUE :
Elle représente toutes les forces matérielles mises au service de l’esprit. Elle a comme nom KAUMODAKÎ « pouvoir de la connaissance ».
Ces trois attributs sont des armes redoutables.
Le disque tranche, décapite, la conque paralyse ce qui s’oppose au maintien de la vie, quant à la massue, arme primitive s’il en est, elle sera toujours l’ultime recours pour en finir avec les puissances qui s’opposent au DHARMA.

Le LOTUS :
Il est l’attribut permanent de VISHNOU.
Issu de la boue, profondément enraciné dans les matières terre et eau, il émerge dans toute sa beauté et son harmonie vers le ciel.
Il est la croissance impérative et irrépressible de la réalisation spirituelle.

Dans l’iconographie, le représentant couché sur ANANTA-SHESHA, VISHNOU n’est pas seul, loin s’en faut.
Nous avons déjà vu que LAKSHMÎ, sa parèdre, lui masse les pieds pour qu’il puisse poser des empreintes de pas déliés sur les mondes à venir.
Les dieux du panthéon classique sont là : SHIVA, GANESHA, SKANDA et ses six têtes… ainsi que l’aigle GARUDA, qui est la monture de VISHNOU, HANUMÂN le singe dévot, KAMADHENU, la douce vache blanche, la mère mythique, la Nourrice sacrée, et bien d’autres tels HAYAGRIVA à la tête de cheval et NARADA au chignon fleuri, deux des AVATÂRA de VISHNOU…
Tout en lui insufflant l’énergie et la force de leur dévotion, tous sont à son chevet, attendant que l’infinie quiétude et suspension des cycles de manifestation prenne fin, et qu’un monde nouveau jaillisse du réveil de VISHNOU et du souffle de BRAHMA.

Marguerite Aflallo, Vishnou sur Ananta, mai 2008.