Satyeshîkâsana.

ou « le roseau dans la vérité ».

Arrêtons-nous un moment sur une posture qui interpelle autant par les résonances de sa forme que par son nom.
Il s’agit de SATYESHÎKÂSANA, nom composé de SATYA, être dans un état vrai, et de ISHÎKÂ, le roseau, ÂSANA étant la posture.
Avant d’approfondir le sens de cette dénomination, installons la posture.

MISE EN PLACE ET DESCRIPTIF

Nous sommes debout, à notre place. Construisons consciemment notre verticalité, depuis l’enracinement des pieds dans le sol jusqu’au sommet de la tête, en portant une attention particulière à la tonicité de la colonne vertébrale. Les mains, en salut devant la poitrine, nous permettent de ramener le souffle et l’attention dans l’espace du cœur. Les paupières abaissées, la pointe de la langue en contact léger avec la face interne des incisives, nous goûtons un instant cet état de retour vers l’intérieur, tout en restant dans la vigilance de la station debout et dans l’ouverture à l’espace extérieur.

A présent, laissons revenir les bras le long du corps.
Tout en portant le poids du corps sur le pied gauche, on place le pied droit un petit peu vers l’arrière, les orteils en contact avec le sol, le talon relevé.
Après avoir vidé le souffle, en inspirant on monte les bras latéralement, jusqu’à la verticale, le visage se tournant lui aussi vers le haut.
Un petit temps de suspension à poumons pleins nous permet de nous ouvrir à cet appel vers le ciel. Sur l’expiration, le pied droit se lève et monte vers
l’arrière , le buste restant tout d’abord en légère résistance, puis, comme avec regret, suit le mouvement en s’inclinant vers l’horizontalité pendant que dans
ce même mouvement le bras droit vient se placer le long du corps , la main en contact léger avec la cuisse droite.
La paume de la main gauche se tourne vers le ciel.

Pour trouver sa posture, tout d’abord, on s’immobilise avant d’arriver au bout de ses possibilités. Puis, en inspirant, la main droite va se séparer du contact d’avec la cuisse, en montant un petit peu au-dessus. Sur l’expire, la cuisse, montant elle aussi un peu, vient en contact avec la main, et ainsi de suite jusqu’à avoir trouvé sa posture.
Pour défaire, une inspiration redressera le buste et le bras gauche vers le haut, le pied droit se posant au sol. Sur l’expire, le bras gauche reviendra le long du corps.
Après un temps d’observation, on met en place de l’autre côté.

Avant de nous ouvrir aux résonances plus profondes, nous pouvons introduire un petit mouvement énergétique intérieur :
En situation posturale, la paume de la main gauche (celle qui est devant) se tourne vers le sol.
Après avoir expiré, on inspire comme si on captait les énergies de la terre par la main, on les laisse couler à travers le bras, l’épaule, le dos jusqu’au niveau lombaire, et sur l’expire on envoie le souffle à travers la fesse, la jambe, le pied droit, et au-delà. On inspire comme si on captait le souffle depuis le pied jusque vers les lombes, et on expire vers l’épaule, le bras et la main gauche qui se tourne vers le haut, envoyant le souffle vers le ciel.
A poumons vides, la main se retourne vers le bas. On recommence sur quelques respirations en évitant la saturation.
Après être revenus au point de départ, et après le temps de résonance, on recommence de l’autre côté.

Enfin, après l’expérience énergétique des deux côtés, nous pouvons reprendre la posture et nous y ouvrir avec bonheur.

VARIANTES :

Après la montée des bras, les pouces vont s’accrocher l’un à l’autre, les autres doigts en « salut ». Sur l’expire, pendant que la jambe se lève, les mains restent dans cette mudrâ, ce qui fait que les deux bras sont vers l’avant.

On peut aussi plier la jambe d’appui, introduisant ainsi une forte dynamique dans l’enracinement, ce qui va modifier l’ambiance de la posture.

OBSERVATIONS

Dans cette posture, toute la face avant tournée vers la terre, toute la face arrière vers le ciel, nous nous trouvons dans l’horizontalité. Une horizontalité dans l’espace, portée par le pilier de la jambe et du pied solidement ancré dans le sol. Cette horizontalité, au lieu de s’affaisser vers le bas, se dynamise vers le haut.
La « charnière » de la posture est l’articulation coxo-fémorale, celle de la hanche.
Articulation essentielle, elle marque le passage des racines de l’espèce et des outils de la marche que sont les pieds et les jambes aux racines plus profondément individuelles que sont les zones du bassin et l’initiale de la colonne vertébrale. Cette grosse articulation est un passage primordial pour notre construction intérieure .D’une part, elle est l’aboutissement d’un redressement qui est un acquis de l’enfance, la structure pieds-jambes sera tout au long de la vie le reflet de notre enracinement dans le monde et de notre volonté de croître, de nous développer, « d’avancer », et, d’autre part, elle est profondément liée au bassin et sous l’influence directe de SVÂDISHTHÂNA.
Se trouvant au même niveau, ce centre énergétique , premier centre à rayonner dans toutes les directions et pas uniquement dans la verticalité, comme MÛLÂDHÂRA, imprègne particulièrement les articulations coxo-fémorales de son ambiance.
SVÂDISHTHÂNA « fondement de soi, de l’individu, de nous-mêmes », l’ « espace personnel », est le centre de la génitalité, de la communication avec l’autre, de la créativité, qu’il s’agisse des gestations de l’espèce ou des gestations-créations qui nous sont propres (art, littérature, cuisine, jardinage, etc…)
Centre de la fluidité, réservoir de l’énergie dont on a hérité à la naissance, il est le moteur de la souplesse du corps et du mental. Quand cette zone est bien équilibrée, cela circule.
Il préside à toutes les fertilités. Ce « fondement de soi » est un creuset d’énergie de libre choix. Mais c’est une zone-passage, un isthme à l’équilibre délicat et fragile.

Dans l’iconographie, son dieu masculin tutélaire est VISHNU, représenté sous son aspect de jeune homme gai, joueur, sensuel. Sur son index dressé tourne le CHAKRA, le disque symbolisant le DHARMA, le cycle des lois de l’univers et des lois individuelles, tournant en anneau de lumière autour de son axe.
Ce disque est une arme-boomerang dont il use pour sabrer tout ce qui s’oppose au maintien des équilibres. La présence de ce dieu souligne notre accord avec les grandes lois de fonctionnement, en particulier les cycles, mais aussi le pouvoir que nous avons d’en écarter les obstacles et d’en franchir les limitations.
Se guider soi-même et ne pas être simplement guidé par le biologique est une des opportunités de ce centre.
La divinité féminine, énergie d’action de cette zone, tient dans une de ses mains une flèche tournée vers le haut. Cette flèche représente la force de l’amour-éros, du désir sensuel et de ses blessures. Tournée vers le haut, elle se fait véhicule de la puissante énergie de la libido, de cette puissance du désir, se mettant au service de la spiritualité et nourrissant de sa force les centres au-dessus.
L’articulation de la hanche sera , elle aussi, imprégnée de cette puissance désirante. A nous de choisir notre direction. Car si, dans notre marche, le genou concrétise la volonté de notre avancée, le choix de la direction va venir de la hanche. A la fois perméable aux énergies de redressement qui montent d’en bas, et perméable aux énergies SVÂDISHTHÂNA qui vont lui donner ouverture ou rigidité, facilitant ou non la direction de notre route, dans SATYESHÎKÂSANA, le jeu de la hanche va nous permettre de déployer plus facilement nos possibilités de chemin, et la solidité de la jambe, du genou, la stabilité du pied, seront à l’image de la fermeté de nos marches futures.

Dans cette posture, les facilités ou les difficultés d’ouverture de la hanche, sont autant de facteurs de compréhension pour nous.
Mais ,comme toujours, la posture est à la fois le diagnostic et le soin.
N’oublions pas que nous devons trouver notre posture, sans aller plus loin que nos possibilités, même si nos articulations coxo-fémorales ont une amplitude de mobilisation réduite.

Peut-être pourrions-nous, en préparation préalable, sensibiliser et tonifier les pieds, les chevilles, les jambes, retrouver la mobilité et l’amplitude de rotation des hanches, et bien sûr tonifier le dos et la face arrière du corps, soit avec quelques postures ciblées, soit avec une série de Salutations au soleil.

QUELQUES PISTES…

Les noms des postures ne sont pas anodins. Ils induisent des ambiances de vécu. Le fait qu’une posture possède plusieurs noms ne doit pas nous rendre perplexes mais au contraire souligne une plus grande fertilité d’expériences possibles.
Celle-ci, que l’on appelle de façon un peu indigente mais courte la PERCHE, porte un nom composé  de deux termes : ISHÎKA, le roseau, avec aussi le sens de la tige de roseau dont on fait les flèches, et SATYA, vérité, réalité, être dans un état vrai.
SATYA se retrouve dans les huit membres du yoga de Patañjali comme deuxième YAMA (les qualités morales que l’on doit développer pour vivre en yoga) après la non-violence.
Nous voilà dans une posture qui induit une profonde attitude de rectitude (et non de rigidité) et, à l’image de cette plante forte et fine qu’est le roseau, de souplesse.
Le roseau se caractérise donc par sa souplesse, sa résistance et par son grégarisme, car un roseau n’est jamais isolé, il se trouve toujours au milieu d’une foule d’autres roseaux.
Traditionnellement on oppose le roseau au chêne.
Si nous transposons symboliquement ces plantes à l’homme, le chêne va représenter l’homme dans ce qu’il a d’unique, d’exceptionnel, de solitaire aussi. Mais son apparente puissance est rendue fragile par sa rigidité et son isolement.
Le roseau c’est l’homme dans la société. L’homme « ordinaire », dans sa dimension horizontale, modeste, mais d’une résistance insoupçonnée, à toute épreuve.
Cette posture va nous obliger à accepter cette dimension de l’horizontalité, vécue toutefois avec une profonde rectitude intérieure, sans orgueil, dans une grande fluidité et adaptabilité à tous les jeux de la vie, symbolisés par cette circulation de souffle en diagonale, gauche-droite, devant-derrière, équilibrée.
Ici, le corps, fermement planté dans le sol, en suspension horizontale, se fait tout entier canal du souffle, imprégnant l’espace loin devant et loin derrière, mais aussi se développant vers l’espace du dessus et rayonnant vers celui du dessous.

SATYESHÎKASANA nous permet de nous installer dans un état où nous nous trouvons sans aucune autre prétention que d’être dans l’exactitude de la réalité la plus simple, la plus forte, la plus difficile, celle d’une vie d’homme, à sa place, entre terre et ciel, aspirant à cultiver un état vrai, individuellement et collectivement.
Quand le corps reviendra à l’initiale, debout, le passage par cette posture aura mis en place une complétude horizontale, trop souvent négligée et oubliée. Alors pourrons-nous nous installer dans une verticalité rayonnante, toute de plénitude.

Marguerite Aflallo, Satyeshîkâsana, octobre 2007.