
En premier lieu pour éviter l’endormissement qui viendrait très vite si nous étions couchés, dans un fauteuil ou dans un hamac. Mais ne nous leurrons pas, nous pouvons aussi très bien dormir assis !
Et là, comme nous l’avons dit, les techniques de yoga nidrâ sont un excellent exercice pour éduquer le maintien de l’acuité et de la vigilance en toutes circonstances.
L’assise place la colonne vertébrale en lien entre la terre et le ciel. Elle est un canal physique et symbolique entre le dense et le subtil. N’oublions pas que le sommet de notre crâne s’appelle « la porte du Brahman » (brahmarandhra), la porte de l’Absolu.
En assise nos outils d’action (jambes-pieds, bras-mains) sont à l’arrêt et en circuit fermé. La langue, autre organe d’action, est immobilisée, sa pointe se trouvant en contact léger avec la partie supérieure des incisives, alors la parole intérieure s’apaisera.
Les paupières sont abaissées ou entr’ouvertes, le regard restant tourné vers l’intérieur.
Nous ne sommes plus en disposition physique de mobilité et cela nous aide à nous isoler des sollicitations extérieures. C’est une posture pratyâhâra (retrait des sens vers l’intérieur).
L’assise est aussi la posture de l’écoute profonde. Écoute des enseignements externes ou écoute du subtil. Observons qu’il est impossible d’intégrer un enseignement quelconque quand nous sommes affalés ou en position couchée.
En assise nous pouvons donc, de façon plus aisée, installer un état de concentration (dhârana), que ce soit sur le souffle, la colonne vertébrale, le bindu, le cœur, un yantra, etc… ou bien nous laisser être guidés par des images mentales porteuses de sens.
En un ample mouvement, « d’un territoire conquis à l’autre » (Y.S.III,6), dhârana sera le seuil de dhyâna (la méditation, la contemplation) pour se développer en samâdhi (la pleine conscience), état d’ouverture, de fusion et de compréhension totale, de silence et de joie, c’est-à-dire installation dans notre nature profonde. Il y aura enrichissement et non perte, élargissement et non cessation. La conscience individuelle deviendra cosmique. Et nous ne serons pas une coquille vide, comme le redoutent certains détracteurs, mais nous serons plongés dans l’infini.
« Maintenant le corps bien droit, le tronc, la gorge et la tête bien érigées, faisant pénétrer ses sens et son mental à l’intérieur du cœur, l’homme avisé doit traverser tous les courants dangereux au moyen du radeau du Brahman » (Shetasvatara Upanishad II, 8 )
LES OBSTACLES ET LES IMPASSES
Tout le monde peut ne pas être ouvert ni sensible au monde du yoga, il en est de même pour l’acte de méditer.
Quelques obstacles.
- Le manque de profondeur
Ne pas pouvoir ou vouloir passer d’une conscience superficielle vers l’intériorité. Et cela par paresse ou par indigence intérieure. C’est alors le grand vide intérieur, pas un vide-plénitude mais un vide fait d’obscurité, de médiocrité et de stérilité.
Et cela va de pair avec le rétrécissement de l’horizon. Vouloir rester au niveau des pulsions, de l’émotionnel ou de l’intellect. C’est ne pas désirer aborder d’autres dimensions ni ouvrir son horizon à d’autres vécus possibles. Et aussi le refus de prendre le temps de s’installer et de rester dans une assise, de prendre le temps de l’écoute. Tout cela est nourri par un esprit conformiste et par les peurs.
On peut aussi ne pas désirer donner une dimension sacrée à la vie.
Il y a bien sûr et surtout le durcissement de l’ego qui se refuse à ne pas rester au premier plan.
Nous observons que ne pas vouloir et ne pas pouvoir s’imbriquent la plupart du temps.
On retrouve dans les obstacles à la méditation les sources de souffrance (les klesha) énoncées par Patañjali : l’aveuglement, l’hypertrophie de l’ego, les passions et les peurs (Y.S.II,3)
Dans l’assise attention au « laisser aller » que l’on peut prendre pour du lâcher-prise. L’attitude physique parle, elle est le reflet de ce qui se passe à l’intérieur. Si le dos s’effondre, si la tête dodeline, si les mains sont molles, cela traduit une torpeur sereine, une quiétude stérile, un doux endormissement. On est dans le ronron d’une indolence nourrie de vagues rêveries, on reste dans l’engourdissement sensoriel.
Attention encore aux exaltations, aux transports émotifs, aux remontées subconscientes, lumières, sons, etc… la règle est de ne pas se préoccuper de ces phénomènes et de ne pas s’y fixer. Ils ne résistent pas à l’indifférence, sont sans intérêt et disparaissent comme ils sont venus car purs produits d’un mental rusé qui résiste à lâcher ses agitations habituelles.
Mais quelquefois, au cours d’une assise, nous pouvons avoir une fulgurance de compréhension, et cela d’évidence. C’est un des petits miracles des méditations et du silence. Quand nous sommes totalement présents, sans lutte, sans méfiance, sans marchandage, dans un état de totale confiance, cela augmente la puissance des intelligences profondes.
Nous pouvons aussi installer le désir forcené à vouloir méditer pour obtenir « l’Éveil », d’hypothétiques « réalisations » et de sublimes envolées. Cela vient d’un profond sentiment d’insécurité et obscurcit l’esprit. Il va y avoir un blocage dès le départ et l’obstacle viendra de l’acharnement de ce désir. Si nous retirons de ce désir le sens de l’appropriation pour n’en conserver que l’ardeur (tapas), c’est-à-dire l’élan propulseur, l’élan profond, nous entrerons dans une dynamique subtile et féconde.
Le manque de simplicité. Ce qui rejoint l’enflure de l’ego. Il vaut mieux enlever toute étiquette et ne pas parler de méditation (« Le lundi je médite. », « J’ai un coach de méditation. », « Là je suis en train de méditer. »…). Tout cela nous enferme dans des tiroirs, dans des rôles, dans des catégories stérilisantes. Proposons-nous simplement une bonne assise.
Soyons juste assis.
Enfin, quand nous avons l’intention de méditer, développons la confiance.
« Confiance dans la confiance, c’est la seule solution quand on a perdu la confiance. »
Quelques impasses.
Au fur et à mesure qu’elles pratiquent la méditation certaines personnes sont de plus en plus satisfaites d’elles-mêmes, orgueilleuses, arrogantes et méprisantes vis-à-vis du commun des mortels. Elles sont stérilisées par leur narcissisme.
Il y a les dormeurs invétérés, ceux qui s’installent confortablement dans l’inertie et une douce torpeur « tamasique ».
Il y a ceux qui ressassent sans cesse leurs problèmes psychologiques jusqu’à l’asphyxie.
Il y a aussi ceux qui doutent en permanence (« Qu’est-ce que je fais là ? » « Suis-je bon ou mauvais? » « Dieu existe-t-il ou pas? » « Et si je m’étais trompé en commençant le yoga? », etc…) et restent donc bloqués dans leur inquiétude mentale.
Certains envisagent la méditation comme une technique de plus, de façon très volontaire et ne ménageant pas leurs efforts, soit pour se «mâter», se dominer, se punir, et/ou par désir d’austérité et d’ascétisme forcené.
D’autres pensent avoir trouvé par là un moyen d’acquérir des pouvoirs occultes qui les transformeront en surhommes ou en « surfemmes » et par là s’enfoncent dans le mensonge et l’illusion.
Et enfin les mêmes, ou d’autres, voulant obtenir des résultats rapides mettent en place des techniques de transes ou d’auto-hypnose (rotations rapides de la tête, hyperventilations, balancements du corps, etc…).
L’arrogance, l’endormissement, la recherche des pouvoirs et l’impatience sont des impasses « classiques ».
Être juste assis, sans aucun but ni désir autre que de faire la paix avec soi, avec les autres et avec le monde, tel peut être notre propos de méditant.
L’EXERCICE QUOTIDIEN
Enfin, le « degré supérieur », ce sera de pouvoir installer le silence intérieur et l’élargissement de la conscience dans toutes les situations de la vie quotidienne, n’importe lesquelles.
« Dans le véritable Enseignement, qui ne demande pas le retrait du monde, c’est le monde entier qui devient monastère ou ashram, le monde entier, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qui est considéré comme la grâce du guru à l’œuvre…
le guru le plus habile, le plus efficace, le plus génial ne pourrait créer pour moi, dans son ermitage ou dans son monastère, des conditions plus fructueuses, plus profitables, plus habilement difficiles que celles que la vie me donne… » (Arnaud Desjardin)
La méditation comme exercice quotidien signifie que notre façon « d’être là », n’importe où et à n’importe quel moment , peut être une opportunité pour saisir et maintenir le fil d’or de notre profondeur.
Il peut s’agir de laver la vaisselle, d’éplucher des carottes, de prendre l’autobus ou le métro, d’arroser une fleur…
Chaque situation devient la meilleure occasion pour établir un contact avec notre profondeur.
Dans tout acte il y a ce qui en sort, ce qui en résulte, et ce qui y entre. Par exemple : en lavant une assiette ce qui en sort c’est que l’assiette sera propre, ce qui entre, ce qui s’acquiert avec cet acte, c’est que je peux m’être nettoyé intérieurement de quelque chose de pas trop propre en faisant cela. L’acte extérieur et l’acte intérieur ne faisant qu’un.
Et même mieux: en faisant la vaisselle nous partons du moins sale pour finir par le plus sale. Il peut en être de même dans le processus de nettoyage intérieur. Partons du plus évident, du plus apparent, vers le plus caché. Du plus léger vers le plus lourd, du plus clair vers le plus obscur.
C’est cela le travail sur soi-même.
Les méditations en assise, bien que nécessaires pour donner l’impulsion, ne sont pas la vraie solution si lorsque nous posons le pied hors de notre lieu de méditation nous retombons dans la confusion habituelle. Nous resterons dans l’éternelle séparation dedans-dehors, celle de la vie intérieure et de la vie mondaine, nous resterons à jamais dans la dualité.
« Nous avons besoin d’une vie complète, nous avons besoin de vivre la vérité de notre être tous les jours, à chaque instant, pas seulement les jours fériés ou dans la solitude, et pour cela les méditations béates et campagnardes ne sont pas la solution…
…la seule solution est donc de pratiquer le silence mental là où il est apparemment le plus difficile, c’est-à-dire dans la rue, dans le métro, dans le travail et partout ». (Satprem)
Ne nous effrayons pas non plus de nos pulsions, de nos pensées les plus inavouables, laissons-les jaillir librement, acceptons-les. Nous possédons une partie obscure et une partie lumineuse. A partir du moment où nous reconnaissons cette racine et que nous travaillons sur elle, elle avance, elle évolue et produit un diamant, le meilleur de nous-mêmes: notre conscience, notre lumière.
Tout en nous est le meilleur de nous-mêmes.
«La méditation consiste à être conscient de chaque pensée, de chaque sentiment, à ne jamais les juger en bien ou en mal, mais à les observer et à se mouvoir avec eux. En cet état d’observation on commence à comprendre tout le mouvement du penser et du sentir. De cette lucidité naît le silence…
Observer de cette façon est une discipline fluide, libre, qui n’est pas celle du conformisme.»
De même profitons de chaque moment du quotidien pour ouvrir une porte vers notre profondeur et chacune de nos actions sera alors précieuse. Chaque fois qu’un choix se présentera à nous essayons de faire un choix lumineux plutôt qu’un choix obscur et choisissons toujours un chemin qui a du cœur.
Si nous acceptons cela nous vivrons au meilleur niveau de nous-mêmes.
POUR CONCLURE
Le paradoxe est l’esprit même du yoga, et parler ou écrire sur la méditation en est le meilleur exemple. Ici nous avons essayé de vouloir expliquer l’inexplicable car méditer c’est la fin du langage. Nous avons tenté de proposer des directions là où se déploie la liberté absolue.
Dans les cours ou les stages nous sommes là, en groupe, tous ensemble, en même temps que dans le face-à-face avec nous-mêmes, car il n’y a de méditation qu’individuelle.
« Quand l’esprit est entièrement seul, alors seulement il est entièrement ouvert. »
La méditation est simple, nous la compliquons.
Méditer c’est rencontrer le monde en changeant un regard fait de séparation, de peurs et de vulnérabilité. Méditer c’est comprendre que nous sommes le monde.
Surtout n’ayons pas peur de nous tromper. Lançons-nous à l’eau avec conviction, même sans savoir nager.
Pour méditer l’important c’est d’en avoir la résolution, l’intention.
« La méditation est un mouvement, non une fin à poursuivre ».
C’est vouloir installer des moments où l’on se pose face à soi-même et où on va laisser se développer une présence nourrie de sincérité, d’ouverture et de simplicité, en acte gratuit, sans attendre aucune récompense en retour.
« C’est l’innocence du présent…
… et la beauté de la méditation c’est que jamais vous ne savez ni où vous êtes, ni où vous allez, ni quelle en sera la fin. »
Notes :
dans le chapitre II des Yoga Sûtra de Patañjali les huit membres du yoga sont :
- les yama, les règles de vie. Cinq engagements qui concernent notre relation avec les autres, avec le monde et avec nous-mêmes
les niyama, cinq autres règles de vie qui vont concerner essentiellement les priorités pour l’organisation de notre vie personnelle
âsana, la posture
prânâyâma, la maîtrise du souffle
pratyâhâra, le retrait vers l’intérieur
dhâranâ, la concentration
dhyâna, la méditation
samâdhi, la pleine conscience
Citations:
Hatha Yoga Pradîpikâ (Fayard) trad. Tara Michael
Yoga Sûtra de Patañjali (Albin Michel) trad. Françoise Mazet
Suzuki : Esprit zen, esprit neuf (Points-Sagesse)
Satprem: Shrî Aurobindo ou l’aventure de la conscience ( Buchet-Chastel)
Arnaud Desjardin : La voie du cœur (Table Ronde)
les citations non précisées sont de Krishnamûrti, en particulier :
-Se libérer du connu (Stock +Plus)
La révolution du silence (Stock + Plus)
Au seuil du silence (Courrier du Livre)
Les ouvrages de références sont multiples. Outre ceux cités ci-dessus :
Thich Nhat Hanh :
Le miracle de la pleine conscience (Espace Bleu)
La sérénité de l’instant (J’ai LU)
Enseignements sur l’amour (Albin Michel), etc…
Pierre Feuga : – L’art de la concentration (Albin Michel)
Vimala Thakar : La méditation un mode de vie (Courrier du Livre)
Sogyal Rimpoche : Méditations (Table Ronde)
Deshimaru : La pratique du zen (Albin Michel)
Mathieu Ricard : L’art de la méditation (NiL)
Karlfried Graf Dürckheim : Méditer, pourquoi, comment (Courrier du Livre)
et bien d’autres…
Marguerite Aflallo