Deux postures pour temps de crise.

YMA_virabhadrasana
Aujourd’hui nous allons aborder deux postures qui toutes deux peuvent illustrer l’ambiance personnelle à développer en cette période de crise.
Tout d’abord la posture du guerrier, Vîrabhadrâsana, puis une posture d’équilibre debout, Shivavarâsana.

VÎRABHADRÂSANA

Choisissons une des deux ou trois variantes qui existent sous cette dénomination.

Mise en place de la posture :

Nous sommes genoux au sol, le corps redressé. Le pied droit vient se poser sur le sol devant soi de façon à ce que le tibia et le fémur forment un angle droit. Le pied ne s’écarte pas latéralement, il reste dans l’axe de départ.
Tout en pliant le genou droit vers l’avant, les mains se posent sur le sol de part et d’autre du pied droit. En même temps la jambe gauche va s’allonger vers l’arrière, les orteils du pied gauche restant agrippés au sol. Pour le moment le genou gauche reste en contact léger avec le sol.
Attention à ne pas décoller le talon droit du sol afin que le tendon d’Achille reste très étiré. Et tout en allongeant la jambe gauche, veillons aussi à ne pas modifier l’angle de fermeture de la jambe droite, à ne pas revenir en arrière.
Le ventre est tonique. En essayant de ne pas accentuer la cambrure lombaire, le buste va se redresser et les mains se poser sur le genou. Le bassin ne se soulève pas.
Puis les bras vont passer derrière et, doigts entrelacés et paumes en contact, en décollant bras et mains du corps nous installons balinî mudrâ (le sceau ou le geste puissant). Nous sommes alors dans une grande ouverture scapulaire et thoracique. A présent, en gardant cette ouverture des épaules, les mains vont se séparer et, les doigts en jñâna mudrâ, elles vont se tourner, paumes vers le haut, les coudes restant collés au corps et vers l’arrière.
Enfin, la jambe gauche très tonique, le genou va se décoller du sol.
Le regard puissant et le visage rayonnant, nous sommes dans Vîrabhadrâsana.
On défera doucement. Après un passage par garbhâsana (le fœtus), c’est-à-dire assis sur les genoux, le front au sol et les bras détendus le long des jambes, on reprend en changeant la position des jambes.

Observations.

Nous observons en premier la grande ouverture des ceintures pelvienne et scapulaire. L’une et l’autre étant les charnières des outils d’action que sont les jambes et les bras. Cette posture favorisera donc, ensuite, une plus grande mobilité et aisance de mouvements de ces mêmes outils d’action.
Les jambes sont elles aussi en position de complémentarité, l’une poussée vers l’avant, en fermeture, l’autre très étirée et allongée vers l’arrière.
Nous trouvons aussi une grande tonicité dans les pieds et chevilles. Un pied aura le tendon d’Achille très sollicité en étirement, l’autre pied aura sa plante et les orteils très toniques. De là vont découler puissance et aisance dans les marches futures.
Le rapprochement de la zone-racine de la terre va nous y ancrer plus solidement, et son desserrement va installer une grande liberté dans cette partie du corps. De même l’exigence d’ouverture dans les épaules y enlèvera raideurs et blocages.
Si on tient bien le bassin, et en minimisant la cambrure lombaire qui reste longue et forte, le redressement tonique de la colonne contribuera aussi à maintenir le large rayonnement de l’espace thoracique.
Cette posture est toute d’ouverture, de déploiement et de puissance.
Sa préparation doit porter sur la mobilisation des zones scapulaires et pelviennes et sur la tonicité de la colonne vertébrale. Les salutations au soleil sont une bonne préparation, de même que l’arc (dhanurâsana). N’oublions pas non plus la pratique des bandha qui va contribuer à libérer les zones profondes du bassin et du thorax. Par la suite, pour un équilibrage postérieur, nous pourrons choisir une posture d’enroulement ou de fermeture du corps à notre convenance.

Approfondissons.

Avec la dynamique d’installation des jambes, un genou à terre et l’autre poussé vers l’avant, nous retrouvons une posture qualifiée de « guerrière ».
Symboliquement les genoux sont la petite tête des jambes, ils sont le pendant du mental et représentent la volonté de la marche. Poser délibérément un genou à terre est perçu comme un lâcher de l’orgueil. On se démet d’un certain désir de puissance, de domination, on accepte de lâcher l’ego.
L’autre genou, poussé vers l’avant, se trouve dans une dynamique d’action, prêt au « combat ».
Dans cette attitude nous nous trouvons en équilibre entre action et lâcher prise, mais un lâcher prise qui deviendra quand même puissante énergie quand la jambe va se tendre. Nous serons alors dans la vigueur (vîrya) totale des jambes et dans la grande puissance d’action de nos outils de marche.

Rapprochée du sol et en large ouverture, la zone-racine va s’ancrer et se nourrir librement des énergies de la terre, énergies de stabilité, de solidité et de cohésion. Alors la tonicité du redressement de la colonne n’en sera que plus solide.
Les guerriers protègent leur poitrine avec un bouclier. Ici l’ouverture et le rayonnement libre de toute crainte de l’espace du cœur tiendra lieu de bouclier de protection.
La mudrâ de la Connaissance (jñâna mudrâ) sera la seule arme tenue dans les mains. Mains, là encore, ouvertes en libre offrande vers l’avant.
Dans les postures n’oublions pas de rester attentifs aux yeux et à l’intensité ou à la délicatesse du regard. Dans cette posture-ci, le visage rayonnant et un léger sourire aux lèvres, installons un regard puissant.

Après cette posture, toute de combat et d’ouvertures, nous pouvons, en complément, nous proposer une posture d’équilibre debout :

SHIVAVARÂSANA

L’installation de cette posture est plus simple que la précédente.
Nous sommes debout, une jambe et un pied vont se trouver solidement ancrés dans la terre, ici le pied droit.
Le pied gauche va s’enrouler souplement autour du mollet droit, par l’arrière, comme une liane. Le genou et la hanche gauche en forte ouverture latérale.
La main droite se placera en Abhaya mudrâ, au niveau de l’épaule droite, et la main gauche en Varada mudrâ, souplement dirigée vers le bas et en légère ouverture vers la gauche.
Après un certain temps de tenue, on posera le pied et on détendra les bras. Puis on change de position, pied gauche au sol, pied droit enroulé autour mollet gauche, main gauche en abhaya mudrâ et main droite en varada mudrâ.

Observations :

Cette posture est très simple mais, de par son maintien sur un seul pied, finalement pas très facile à garder un certain temps. Elle éveillera en nous de profondes résonances.
La jambe dont le pied s’enroule autour du mollet comme une liane autour d’un tronc solide, sera ainsi arrêtée dans son fonctionnement de marche ordinaire. Son enroulement va induire comme le désir d’ascension dynamique d’une marche intérieure.
L’ouverture du genou et de la hanche favoriseront une large palette de choix de chemins. Car plus la hanche sera déliée plus large sera son amplitude d’action et par là-même ses possibilités de choix de direction. Nous sommes prêts pour toutes les aventures.
L’ancrage solide de la jambe dans le sol formera comme un tronc le long duquel montera la sève de redressement.

Mais aussi, le positionnement des bras et des mains va imprégner la posture d’un parfum plus profond.

Les MUDRÂ

ABHAYA mudrâ(la protection)

La main droite est levée, à hauteur de l’épaule, paume tournée vers l’avant.
Cette position de main induit la protection. Mais une double protection.
Elle protège celui qui prend cette mudrâ, car elle est comme un bouclier forgeant une sorte de cuirasse invisible pour parer à d’éventuelles agressions. Elle libère donc la personne qui prend cette mudrâ de toute crainte vis-à-vis de ce qui peut venir de l’extérieur. Mais aussi elle va balayer ses fragilités et ses propres « démons » intérieurs. Car, quelquefois, la violence intérieure peut, comme un aimant, attirer la violence extérieure.
Enfin, en un chaud rayonnement et telle une bénédiction, elle protègera aussi celui vers lequel elle est dirigée.
C’est le signe de l’invulnérabilité.

VARADA mudrâ (qui accorde des dons – qui pardonne à soi-même et aux autres)
Le coude légèrement plié, la main gauche est ouverte vers le bas, un peu par côté, comme si on laissait s’écouler quelque chose que l’on aurait tenu dans la main.
Il y a, dans cette position de la main, une ouverture généreuse, un don de soi, sans crainte, libre de tout a-priori.
Avec cette mudrâ, on lâche tous les poids, toutes les blessures, toutes les rancoeurs, toutes les toxines.
C’est aussi comme si on allait donner la main à un petit enfant, avec une tranquillité confiante. La main est donc placée autant pour recevoir que pour donner.
C’est une position de partage et d’accueil innocent.

Le message de SHIVAVARÂSANA

Ces deux mudrâ, nous installent dans une attitude juste et harmonieuse. En installant Abhaya nous ne pouvons pas être le jouet d’une volonté extérieure, ni nous laisser envahir par nos peurs.
En complémentarité, la libre ouverture de Varada soulignera que ni la méfiance vis-à-vis de l’autre, du monde extérieur, ni le repli sur soi-même ne protègent. S’ouvrir aux autres et donner de soi, équilibré par Abhaya, amènera confiance et ouverture harmonieuses.
Ces deux mudrâ nous rendent forts et invulnérables.

Cette posture induira aussi la solidité d’une démarche vers l’intériorité et vers le haut. C’est cela notre pilier.
Le regard rayonnant, le visage épanoui et le cœur ouvert.
Nous pouvons alors, tout à fait librement, laisser jaillir le pranava sur quelques respirations.
Tout est sérénité et équilibre, c’est le cadeau de Shiva.

LES DEUX POSTURES

Souvent les noms des postures peuvent aussi nous permettre d’approfondir et d’amplifier les résonances et les ressentis. Peu de postures portent le nom d’individus ayant existé ou mythiques. On peut faire le pari que ces noms ont été choisi parce que leur structure-même induisait une direction de vécu.
Ici nous avons, avec Vîrabhadrâsana, un aspect viril et guerrier (vîra), en même temps que heureux, bienveillant et auspicieux (bhadra).
Ce guerrier-là ne sera pas porteur de mort mais de qualités fastes, bonnes et générant une joie profonde.
Nous passons donc d’une guerre extérieure à un combat intérieur et spirituel.
Il faudra donc que notre attitude profonde soit tournée vers l’action, mais une action dont les armes ne seront pas matérielles mais essentiellement spirituelles.

Avec Shivavarâsana, Shiva nous fait un présent.
Dieu des yogis, dieu de la transformation, surtout spirituelle, il peut avoir des aspects redoutables, en particulier au cours des mouvements multiples et souvent convulsifs de la manifestation.
Il est le destructeur nécessaire qui permet la reconstruction et l’évolution, rien ne devant rester stagnant ni limité.
Mais ici nous avons un Shiva sous son aspect enseignant. Il est celui par qui le yoga fut donné aux hommes, le Maître des Origines (Shrî Âdhinâtha). Le passeur de savoir tout à fait auspicieux.
Même si cette posture est apparemment facile, son maintien sur une jambe reste exigeant. Ferme et paisible elle nous installe dans une ambiance d’une grande douceur, d’une grande sérénité et d’un grand équilibre.
C’est le cadeau de Shiva.

Ces deux postures sont complémentaires. Elles illustrent l’exigence de volonté et de solidité face à toute situation d’adversité, en même temps qu’une grande ouverture et une totale confiance.
Tout est paix.
Tout est bonheur.

Marguerite Aflallo