De Vâyu à Prâna et de Prâna à Prânâyama (troisième partie : Guna)

NoeudGuna_YMADe VÂYU à PRÂNA et de PRÂNA à PRÂNÂYAMA (3ème partie: les GUNA)

Dans deux précédents articles nous avons abordé la notion de PRÂNA de façon générale puis sous l’aspect des « souffles » intérieurs, les VÂYU. Dans le système philosophique du Sâmkhya, système dans lequel évolue le yoga, l’Énergie de Vie, cosmique et humaine, va imprégner la multiplicité de la manifestation en la baignant de trois qualités, de trois modalités qui vont en un jeu infini de nuances caractériser toute la gamme du vivant.

Ces trois forces vont s’appeler les GUNA : le guna RAJAS, le guna TAMAS et le guna SATTVA.

« Il n’y a aucun être sur la terre ni au ciel parmi les dieux qui soit libre de ces trois guna qui sont nés de la prakrti (=shakti) » Bhg Gîtâ (XVIII, 40)

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES.

Guna = fil, corde de l’arc ou d’un instrument de musique, qualité, propriété, attribut. Ainsi ce mot , en un glissement de sens familier au sanskrit, va passer du sens de corde tendue soit pour décocher une flèche soit pour émettre de la musique, vers le sens de caractéristique, de qualité qui va générer une ambiance, un « son » particulier.

- RAJAS GUNA -

De la racine verbale raj (ou rañj) : colorer, rougir, flamber, s’éprendre de rajas, en nom neutre, c’est aussi la poussière, le pollen, les impuretés, les menstrues féminines, la passion. On y trouve une ambiance de chaleur, de dynamisme, d’activité passionnelle. RAJAS c’est : le mouvement, l’activité le dynamisme l’extériorisation, l’expansion, la dilatation, la vitalité, la force qui fait surmonter les obstacles, la volonté, l’enthousiasme, l’ardeur (tapas), le désir, le devenir. À l’échelle cosmique, la force expansionnelle, la force centrifuge, est une force rajas. Nous observons que ces qualités sont tout autant physiques que psychologiques. Comme l’énergie est neutre et prend la couleur de l’usage qu’on en fait, et comme tout excès devient « féroce », l’excès de rajas entraîne : dispersion, agitation, frénésie, violence, décentrement, volontarisme. La couleur que l’on associe à rajas est le rouge. Sa représentation symbolique est le Soleil. Rajas va imprégner la nâdî Pingalâ qui aboutit dans la narine droite et, dans l’optique énergétique du sens du mot HATHA, rajas est associé à l’énergie HA, énergie qui a toutes les qualités du soleil.

- TAMAS GUNA -

De la racine verbale tam : suffoquer, être paralysé. Le nom tamas signifie l’obscurité, l’ignorance tamî (ou tamasvinî) c’est la nuit « noire ». Tamas est symbolisé par la Lune, il va être associé à l’énergie THA, celle qui a les qualités de la lune, et à la nâdî Idâ qui aboutit dans la narine gauche. Sa couleur est le noir. La racine verbale de tamas porte l’accent sur l’aspect immobilité, paralysie et obscurité.
TAMAS c’est : le principe d’inertie, la force de cohésion, la force qui va vers l’intérieur (que l’on peut qualifier de centripète), le facteur de résistance, l’immobilité, l’intériorité, la réceptivité, le passé. Quand il y a excès de tamas nous trouvons : inaction, paresse, inertie, apathie, fuite en soi-même (d’où dépression), indifférence, lourdeur, automatismes, ignorance. Avec tamas nous sommes dans une énergie qui n’a pas bonne presse dans le monde du yoga et de la spiritualité indienne car tous les éléments les plus « grossiers », lourds et obscurs de la manifestation baignent dans des énergies à dominante tamas. Le sens de toute démarche spirituelle est d’aller vers la lumière et vers tout ce qui est subtil (toujours avec cette notion de retour, de réunification avec la Conscience-Énergie dans la plénitude). Shakti, la Conscience-Énergie dans l’action, se trouve symboliquement « assoupie » au cœur de la matière, donc, bien que ses pulsations soient le support de notre vie, elle se trouve en état de léthargie. Tout le travail des disciplines spirituelles va aller dans le sens de son « éveil » et donc de sortir de cet état essentiellement tamasique dans lequel nous nous trouvons.

Mais tamas c’est la force qui va vers l’intérieur, c’est le principe d’inertie au sens physique du terme. A l’échelle cosmique, la force gravitationnelle, celle qui fait que les systèmes planétaires et galactiques soient structurés, de même que les mystérieux « trous noirs » sont l’illustration de la force tamas. À l’échelle humaine, les cellules et les paquets d’énergie qui nous constituent se maintiennent grâce à la force tamas. Sans cette force rien ne « tiendrait ensemble », il n’y aurait aucune structure, aucune forme, aucune cohésion. Rien ne serait manifesté. Nous n’existerions pas.

- SATTVA GUNA -

De la racine AS :être
Sat : réel, vrai, authentique
Sattva : existence, réalité, état de bonté ou de pureté absolue, état spirituel. Sattva est associé au feu (Agni), sa représentation symbolique va être une Étoile. Il est associé à la couleur blanche, couleur mère de toutes les autres, et à la troisième nâdî, la Sushumnâ, celle
qui passe à l’intérieur de la colonne vertébrale et qui rejoint la porte du Brâhman au sommet du crâne.
SATTVA c’est : l’équilibre, la légèreté, l’intelligence lumineuse, la pureté, la bonté, la compréhension, l’harmonie, la paix, la joie, c’est être parfaitement en accord avec le mouvement de la vie. Les limites possibles de sattva, ses « défauts » possibles, sont induits par la couleur blanche, couleur de la disponibilité, couleur qui nettoie, qui purifie, mais qui, si on s’y complait, est la couleur qui neutralise, qui paralyse. Les personnes qui font de sattva un absolu restent ligotées dans l’attachement au bonheur et/ou à la purification. Elles peuvent se complaire dans la fuite de la société, vouloir s’éloigner de toute confrontation à ses expériences, douloureuses ou non, désirer rester dans l’inaction.
« L’homme n’obtient pas la liberté en renonçant à l’action, et par le renoncement seul il n’arrive pas à la perfection » (Bhg. Gîtâ III,4)

TROIS GRANDS JEUX DE FORCES

Avant toute manifestation, nous dit le Sâmkhya, se trouve un Principe de Conscience immuable, éternel, immobile, non agissant, sans attributs, sans qualités, inaltérable, appelé le Purusha. Sous un facteur déclenchant va se lever le désir d’expérimenter les infinies facettes de la multiplicité. Alors dans cet équilibre parfait s’installe une rupture qui sera le moteur de l’éclosion d’un cycle de manifestation. Puis, dans cette indifférenciation primordiale, surgit une polarisation : la Conscience-Énergie en tant que substance primordiale mais tournée vers l’action, et la même Conscience-Énergie, le principe transcendant, l’Absolu, restant dans la plénitude. Ils seront symboliquement représentés comme un couple féminin-masculin appelés Prakriti et Purusha (ou Shakti et Shiva selon les écoles). Et, tout comme la semence fertile jaillit du contact charnel d’un homme et d’une femme, on dit que la manifestation va jaillir du contact de Purusha et de Prakriti.

Tout le développement de la manifestation va se faire étape par étape avec ce qu’on appelle les tattva, les principes, les niveaux de réalité, les éléments de la Nature, qui vont se manifester du plus subtil jusqu’aux plus grossiers. Chacun va en engendrer un autre en un « enrobement » progressif dans la matière. Et tous seront assujettis à ces trois grandes « forces », les guna. Tout ce qui existe, et bien entendu nous aussi les hommes, est donc soumis à ces trois « qualités »
de l’énergie. Elles vont être réparties en nous en diverses proportions selon notre tempérament, notre histoire, les moments de la vie, les circonstances. Nous avons tous une carte d’identité énergétique, mais une carte fluctuante, évolutive. Le yoga va nous permettre d’en prendre conscience à travers l’expérience posturale. La pratique va être un miroir qui nous permettra d’observer et de réaliser selon quelles proportions vont se répartir ces trois forces en nous, en sachant que ce même yoga va nous permettre de modifier cette répartition si elle s’avère trop déséquilibrée. Utiliser intelligemment ces forces nous rendra en quelque sorte « maîtres du jeu ».

Pourquoi vouloir les modifier, comment et en quel sens ?

Nous venons de découvrir ci-dessus les propriétés de chacun des guna, nous nous rendons compte que la recherche d’un équilibre des forces va s’imposer. Un équilibre qui va tendre vers une prédominance des qualités sattviques qui sont les qualités d’intelligence et de lumière. Mais, travailler sur les guna en dissocié va s’avérer délicat, car tout ce qui est porté à l’excès devient « féroce » et génère son contraire. Ainsi, si nous travaillons de façon paroxystique les énergies rajas nous en sortirons épuisés et nous tomberons dans l’inertie de tamas. Si nous cultivons à l’excès l’ambiance tamasique cela peut nous énerver et installer en nous l’agitation de rajas. Il n’y a pas, en principe, d’excès de sattva puisque c’est une force d’équilibre. Le seul problème c’est d’en faire une limite, un but ultime.

Rappelons que les trois guna sont toujours présents en même temps partout mais à des degrés divers. Comme les trois énergies coexistent en nous il ne va pas y avoir de posture « pur tamas » puisque l’action est inhérente à notre nature animale et humaine. A la limite ce serait l’état de sommeil profond, sans rêves, ou bien l’état de coma. Mais nous serions alors hors du champ du yoga qui demande toujours le maintien d’une attention consciente. Il ne va pas y avoir non plus de posture « pur rajas » car la maîtrise du souffle et le jeu du mental installent stabilité et solide ancrage. Il n’y aura pas de posture « pur sattva » car l’équilibre se trouve toujours à la frontière du dynamisme et de l’immobilité.

Mais, si nous observons que notre ambiance générale est amorphe, apathique et sans ressort nous pouvons mettre en place une pratique à dominante rajas.

Pratiques qui activent RAJAS, le dynamisme :

Les postures :

-Tout ce qui est en mouvement comme les Salutations au Soleil, et, d’une façon générale, les postures debout activent rajas.

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-Les postures d’ouverture de la face avant du corps qui ont un effet dynamisant, même si elles se pratiquent sur le sol comme la posture dhanurâsana (l’Arc). Ces postures dénouent les tensions éventuelles de la face avant et, grâce à une tonification du dos, diffusent dans le corps les énergies accumulées dans les padma (1).
- Les postures dites « de force » qui sollicitent intensément la masse musculaire comme shalabhâsana (la sauterelle) ou « le crocodile levé » (ûrdhvamakarâsana), appelée couramment « le guetteur ». Mais aussi les équilibres sur les mains comme mayûrâsana (le paon) ou kâkâsana (le corbeau).
- D’une façon générale tout ce qui sollicite fortement les muscles, et particulièrement tout ce qui active la zone de l’abdomen, manipûra, notre « poêle à feu continu » avec, par exemple, nâvâsana (la barque).
- Les grandes postures sur la tête (shirshâsana, sarvangâsana) car elles demandent une forte tonicité musculaire et aussi parce que le renversement fait office de véritable shaker pour notre organisme, il le dynamise.
- Certaines mudrâ (sceaux, matrices) vont favoriser l’activation et la circulation énergétique, d’autres vont sceller l’énergie dans telle ou telle ambiance. Pour cela on peut se référer aux mudrâ de la Hatha Yoga Pradîpikâ.

Techniques de Prânâyama :

- L’allongement des inspirations, car la « nourriture » du souffle venant à l’intérieur est un facteur de vitalité et d’énergie. Pour l’allongement des inspirations, on peut expérimenter la respiration viloma (respiration « par paliers ») dans sa phase inspiratoire.
- Les suspensions à poumons pleins (antar kumbhaka, « la cruche pleine ») dont le maintien est favorisé par la mise en place des bandha jalandhara et mûla.
- Les bandha (ligatures) qui, en installant une « prise » sur certaines zones de fragilité à l’intérieur du corps, en empêchent la déperdition énergétique, et en activent la circulation au moment de leur relâchement.
- Toutes les respirations qui portent l’accent sur la narine droite avec ou non suspension du souffle à poumons pleins, l’exemple-type étant la respiration Surya bhedana kumbhaka (« la percée du soleil ») où toutes les inspirations se font dans la narine droite, la narine HA où aboutit la nâdî Pingalâ, plus suspension à poumons pleins avec bandha (facultatif), et toutes les expirations dans la gauche, la narine THA et la nâdî Idâ, sans suspension à vide.
- Les rythmes respiratoires de type brahmana où l’accent est mis sur un temps d’inspire plus long que le temps d’expire avec suspension à plein et aucune à vide : exemple 9-4-3-0 (base 16). Mais, attention, si on n’en a pas l’usage il vaut mieux s’abstenir de toute initiative sauvage sans un instructeur car les erreurs sur le souffle sont encore plus porteuses de perturbations et de déséquilibres que celles sur les postures.
- La respiration ujjâyin qui allonge le souffle et le scelle à l’intérieur.
D’une façon générale rajas sera activé en installant tapas (l’ardeur, l’intensité) dans notre vécu. Pour Patañjali, tapas est partie intégrante de toute expérience de yoga (cf. Y.S.II,1).

Si nous sommes dans un état d’agitation, si nous nous sentons « en roue libre », emportés dans le tourbillon tumultueux de la vie, alors notre pratique devra privilégier les ambiances tamas.

Pratiques qui activent TAMAS, la cohésion, la résistance :

Les postures :

- Les postures à dominante tamas vont être des postures immobiles, sur le dos comme shavâsana (le cadavre). Diamant_GUNA_YMA
- Les postures de fermeture antérieure du corps et d’ouverture-étirement de la face arrière comme uttânâsana, appelée « pince debout », ou pascimottanâsana (étirement de la face ouest) ou encore halâsana (la charrue).
- Ces postures, grâce à l’étirement du dos, entraînent une recharge énergétique, par conséquent elles accentuent la résistance du corps en même temps qu’elles augmentent la réceptivité. La fermeture de la face avant, zone sensible et vulnérable, génère une ambiance d’apaisement et de calme.
- Dans le même esprit toutes les postures-germes comme garbhâsana (le fœtus) ou apanâsana, postures où les genoux sont ramenés vers la poitrine en grande fermeture de la face avant, diffusent une ambiance de grande cohésion et même d’invulnérabilité.

- Toutes les expériences où nous cultivons la sensibilité aux énergies profondes comme, par exemple, un vécu d’extrême lenteur ou bien les techniques de yoga nidrâ.

Techniques de Prânâyama :

- L’allongement des expirations qui permet de lâcher les impuretés et tous les encombrements. On apaise en vidant. On peut là encore installer viloma, mais dans sa phase expiratoire.
- Les suspensions à poumons vides (pas trop) vont dans le sens du calme, de la réceptivité, de l’activation de la sensibilité.
- Faisant pendant à Surya bhedhana kumbaka, nous pouvons mettre en place Candra bhedhana kumbhaka, la Percée de la Lune qui développe le même processus mais où toutes les inspirations se font à gauche et toutes les expirations à droite. Les rythmes respiratoires dits langhana où on allonge les temps d’expires et où on reste un peu à poumons vides : exemple 4-1-8-3 (base 16).

Si nous sommes dans un état à peu près « normal » nous pouvons désirer goûter un plus grand équilibre, vouloir être dans une plus grande clarté intérieure, dans une paix lumineuse. Alors notre pratique ira vers les qualités sattva.

Pratiques qui renforcent SATTVA, l’équilibre : Lotus_GUNA_YMA

Les postures :
- Bien sûr, tous les équilibres. Ils demandent à la fois tonicité et lâcher prise, deux forces antagonistes qui se contrebalancent exactement en développant un état d’harmonie.
N’oublions pas la posture samasthiti (se tenir égal, uni, en équilibre, en paix) où nous sommes debout, les mains en añjali mudrâ devant la poitrine.
- Les torsions car elles équilibrent les polarités en les sollicitant dans le sens d’un essorage des tensions et ce d’égale façon des deux côtés.
- Cultiver l’attention par des mouvements du regard intérieur, en particulier le long des circuits énergétiques.
- Les mudrâ. Surtout celles où les mains sont en union et, particulièrement, celles qui se placent devant l’espace du cœur. Mais aussi les mudrâ du chapitre IV de la HYP qui s’appellent khecarî, parân mukhî et shambhavî.
- Les assises. Car alors tout est en place dans la stabilité, la tonicité, la vigilance et l‘ouverture.

Techniques de prânâyama:

- La respiration en nâdî shodhana qui complète l’expérience des torsions et contribue à l’équilibrage des polarités énergétiques. On peut y ajouter tout le jeu technique des variantes (anuloma, pratiloma).
- Les rythmes respiratoires dits samana où les inspires sont de même durée que les expires et les suspensions elles aussi de même durée, exple : 4-2-4-2 (base 12).
- La technique samavritti où les inspires, les expires et les suspensions sont tous de même durée, exple : 4-4-4-4- (base 16). Mais, là encore, c’est une technique délicate à apprivoiser avec un instructeur.
- Shitalî et shitkârin, respirations complémentaires, qui sont des purifiantes et euphorisantes (2).
- La respiration prânique qui est une respiration où l’on capte le souffle avec la partie supérieure des narines, comme si on humait l’air ou comme si on respirait un parfum
- La respiration kevala kumbhaka, dite respiration « osmotique » (cf. HYP II- 72,73,74,75,76) là encore à pratiquer avec un instructeur.
- La technique respiratoire bhramarî (l’abeille) qui est aussi un son (cf. HYP II, 68).

Les sons :

La plupart des mantra, tout particulièrement le pranava (le mantra OM) et le silence vibratoire qui suit. Nous sommes alors dans l’énergie pure, dans des taux vibratoires d’une grande subtilité et d’une grande puissance. Ce qui nous amène vers le silence et la méditation.

La méditation :

Le silence est l’état où le jeu des guna est le plus léger, le plus subtil, le plus imperceptible et où nous nous trouvons quasiment dans le « par-delà » des guna, dans kaivalya (la libération).

L’équilibre de rajas et de tamas permet de développer sattva. Les trois guna coopèrent pour un but unique tout comme la mèche, l’huile et la flamme sont inséparables pour pouvoir faire jaillir la lumière.

PAR-DELA LES GUNA.

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Dans la Bhagavad Gîtâ, Krishna révèle à Arjuna l’essence de l’Absolu au cœur de la manifestation :
« …Tout ceci est suspendu à moi comme des perles à un fil.
Je suis la saveur dans les eaux… la lumière du soleil et de la lune, dans tous les Veda je suis
le pranava (le OM), dans l’espace je suis le son, et la virilité en l’homme.
Je suis pure senteur dans la terre et énergie rayonnante dans le feu. Dans tous les êtres je suis
la vie et chez les ascètes l’ardeur de l’ascétisme (tapas).
… je suis la semence éternelle de tous les êtres… je suis l’intelligence des êtres pensants,
l’héroïsme brûlant du héros.
Sans désir (kâma) ni passion (rajas) je suis la force du fort, et dans les êtres je suis le désir
amoureux en accord avec l’ordre des choses (non contraire au Dharma).
… je suis l’origine de tous les états et devenirs de l’être, qu’ils soient sattviques, rajasiques
ou tamasiques.
Je ne suis pas en eux, ils sont en moi. »
Bhg.Gîtâ (VII, 7 à 12)

Notre démarche dans cette discipline, dans cet art qu’est le yoga, va nous plonger au cœur de la matière, au cœur du vivant, dans une profonde compréhension de toutes ses nuances. Les guna sont la trame énergétique de la manifestation. Mais, malgré les apparences, les guna ne composent pas la totalité du réel. Aussi riches soient-elles, la connaissance et la compréhension de ces trois modalités ne doivent pas nous limiter et occulter cette capacité qui est la nôtre de nous ouvrir à une dimension autre que les vécus ordinaires. Car, qu’on le veuille ou non, cela fait partie intégrante de nos possibilités. N’oublions pas que tout ce qui est manifesté est Shakti, elle est la « forme du sans-forme ». Et il n’y a pas de Shakti sans Shiva ni de Shiva sans Shakti, les deux ne sont qu’une seule Conscience-Énergie. Dans notre expérience de vie, refuser ou vouloir ignorer l’ouverture au transcendant, que l’on appelle Ishvara pranidhana, c’est cela la grande illusion, le voile de Mâyâ. Ishvara pranidhana, l’abandon au transcendant, va nous faire pressentir et nous porter vers l’état nirguna, ce qui est au-delà des guna. Et c’est tout le paradoxe de cette expérience du yoga que d’être pleinement conscients du jeu des guna, de les affiner, de les « subtiliser » à l’extrême dans l’ambiance sattva, puis, grâce au non attachement, à l’abandon, de laisser s’ouvrir les portes qui nous feront passer de l’expérience, riche mais limitée, du monde à celle du Tout sans limite, vers l’état de Pleine Conscience (samâdhi).

« La réabsorption des guna, privés de leur raison d’être par rapport au Purusha, amène l’état de
kaivalya (de libération totale) dans sa forme originelle, c’est-à-dire la Conscience-Energie. Et voilà » (YS IV, 34)

Marguerite Aflallo, De Vâyu à Prâna et de Prâna à Prânâyama (troisième partie : Guna).

NOTES :

(1) les padma : attaches des cakra le long de la colonne, zones de « prise » du prâna.

(2) voir analyse complète de ces deux respirations dans Infos Yoga n°77

Abréviations : HYP = Hatha Yoga Pradîpikâ
Bhg Gîtâ = Bhagavad Gîtâ
YS = Yoga Sûtra