DE VÂYU A PRÂNA ET DE PRÂNA A PRÂNÂYÂMA (deuxième partie : les VÂYU)
Dans le précédent article nous avons commencé à découvrir Prâna, l’énergie de vie, le souffle de vie. Nous avons vu comment nous captons cette énergie et par quels moyens elle peut circuler et couler en nous. Prâna est unique mais ses aspects sont multiples. En particulier les énergies qui gèrent toutes les fonctions de notre organisme, sous la désignation de Vâyu (vent, souffle), sont des aspects de cette force universelle qu’est Prâna.
LES VÂYU.
De la racine verbale vâ : se mouvoir, vâyu est cette énergie subtile, invisible, éternelle, Prâna, manifestée dans un organisme, dans un corps, et qui en maintien la vitalité et l’équilibre.
Nous pouvons déterminer cinq « souffles » majeurs dans notre organisme, chacun animant et activant une fonction vitale particulière :
PRÂNA VÂYU, le souffle qui va « vers l’intérieur », la force qui reçoit.
C’est la force qui fait venir vers l’intérieur tout ce qui doit pénétrer en nous pour maintenir la vie : l’air, les aliments solides ou liquides, mais c’est aussi l’énergie nous permettant de recevoir de l’extérieur tous les stimuli sensoriels, ce qui va nourrir les activités du mental. C’est l’énergie d’INGESTION. Prâna vâyu va être la racine des autres souffles, elle sera leur force motrice. On le situe dans la partie haute du corps. Paradoxalement, bien que cette énergie préside à toutes les ingestions, donc vers l’intérieur de notre corps, son mouvement est ascendant, il va vers le haut, il monte. En permettant au corps de se nourrir physiquement et mentalement, donc de vivre, prâna vâyu contribue à son redressement, à sa dynamique d’élévation, et facilite ainsi toutes nos activités d’appropriation.
APÂNA VÂYU, le souffle « vers le bas, vers l’extérieur », la force qui donne.
Complémentaire nécessaire de prâna vâyu, apâna vâyu se situe dans la partie inférieure du corps et préside à toutes les évacuations : les déchets corporels, les expirations, les menstrues, les éjaculations, les accouchements. Il préside aussi au nettoyage de toutes les toxines, les physiques et les mentales. C’est l’énergie d’expulsion, d’élimination. Son mouvement va vers le bas bien qu’il lui arrive aussi d’expulser par le haut (voir plus loin l’énergie nâga). Apâna vâyu et prâna vâyu sont indissociables. Leurs fonctions doivent nécessairement être équilibrées, car autant il faut savoir faire entrer autant il faut savoir faire sortir.
SAMÂNA VÂYU, le souffle « concentré », la force qui transforme.
Situé dans la région abdominale, il fournit l’énergie nécessaire au feu gastrique pour digérer. Samâna vâyu rassemble et concentre tous les courants vitaux, il unifie prâna vâyu et apâna vâyu. Il préside à la formation de ce que les indiens appellent le rasa (le suc, l’essence) produit par la digestion, et il sépare les éléments nutritifs qui doivent être gardés et diffusés dans l’organisme de ce qui doit être éliminé, rejeté. Il en est de même pour tout ce qui doit être assimilé ou évacué de nos « digestions » émotionnelles et mentales. C’est l’énergie d’ASSIMILATION.
Ces temps-ci l’Occident (re)découvre que le feu digestif est étroitement lié à la puissance du mental, l’un alimentant l’autre. On redécouvre que l’activité de la zone abdominale influence et nourrit celle de notre mental et que l’on peut qualifier fort judicieusement cette région abdominale de « cerveau du bas ».
VYÂNA VÂYU, le souffle « diffusé », la force qui distribue.
L’essence (rasa) des nourritures est distribuée et répartie là où c’est nécessaire dans tout le corps grâce à l’énergie vyâna. Ce « souffle » imprègne notre organisme tout entier et circule en permanence dans tous les canaux (nâdî), les veines, les circuits nerveux, les muscles, les articulations, etc… C’est l’énergie de DISTRIBUTION. Mais vyâna vâyu est aussi la force de liaison, de coordination, d’équilibre de tous nos systèmes de fonctionnement. Il maintient la COHESION de notre organisme tout entier. Résistant à la désintégration, il nourrit la puissance de notre vitalité et de notre santé.
Vyâna vâyu rayonne jusqu’à la périphérie du corps, jusque dans la peau. Cette énergie contribue à toutes les réactions épidermiques (transpiration, chair de poule), celles dues aux agents environnementaux mais aussi les réactions allergiques de toutes sortes y compris les mentales. Vyâna vâyu va marquer les limites de notre intégrité physique. C’est l’énergie qui préside à notre ouverture ou fermeture aux autres et au monde. Quand vyâna vâyu est parfaitement équilibré dans un
organisme, cette personne-là est perçue d’emblée comme « rayonnante ». Autrement elle sera perçue comme « cuirassée » ou comme ayant une présence dénuée d’énergie, vide.
UDÂNA VÂYU, le souffle qui va vers le haut, la force de communication.
C’est la force ascendante, celle du redressement, de la verticalisation, de la croissance. Bien équilibrée, elle contribue à nous donner un sentiment d’aisance, de légèreté et même d’enthousiasme. Elle est ce qui nous « pousse vers le haut » et nous tire vers le positif. Située dans la gorge et la tête, elle préside à la phonation, à notre façon de nous exprimer et à toutes les communications. C’est la force d’EXPRESSION. Udâna vâyu présidera donc au pouvoir relationnel que nous développons avec autrui.
VÂYU « MINEURS »
Il existe aussi des vâyu dits « mineurs » qui peuvent être mis en relation avec les cinq principaux :
NÂGA « le serpent » : Qui préside à tous les mouvements d’expulsion par la bouche (vomissements, éructations, hoquets, et
même soupirs). On peut rattacher cette énergie au vâyu apâna.
KÛRMA « la tortue » : C’est l’énergie du clignement des yeux. Elle peut être associée à vyâna vâyu puisqu’elle est une
activité qui fait partie du fonctionnement vital général.
KRIKARA « la perdrix » : C’est l’énergie qui donne l’appétit, qui produit la faim. Elle est une variante de samâna vâyu puisque, située en amont, elle prépare l’énergie de digestion.
DEVADATTA « le don des dieux » : C’est l’énergie du bâillement et celle qui donne envie de dormir, qui donne sommeil, c’est
l’énergie « du marchand de sable ». Elle peut être assimilée à prâna vâyu car le bâillement est une longue inspiration.
DHANANJAYA « victoire des dons, des biens » : C’est l’énergie de décomposition des cadavres, celle qui reste quand toutes les autres ont quitté
le corps. De même que prâna vâyu et apâna vâyu sont nécessairement complémentaires, dhananjaya vâyu sera complémentaire de udâna vâyu.
On peut se poser la question de ce qu’il advient de cette énergie dans les processus de momification du corps après la mort.
CORRESPONDANCES.
Chacun des vâyu peut être mis en correspondance avec un chakra et un élément :
Apâna vâyu, situé dans le fondement du corps, en liaison avec l’élément Terre (prithivî)et le chakra Mûlâdhâra.
Prâna vâyu, situé dans la zone du thorax, en liaison avec l’élément Air (vâyu) et le chakra Anâhata.
Samâna vâyu, situé dans le ventre et le plexus solaire, en liaison avec l’élément Feu (tejas) et le chakra Manipûra.
Vyâna vâyu, s’écoule dans le corps tout entier, en liaison avec l’élément Eau (apas) et donc le chakra Svâdishthâna.
Udâna vâyu, situé dans la gorge et dans la tête, en liaison avec l’élément Espace (akâsha) et le chakra Vishuddha.
Les vâyu sont, bien sûr, activés par toutes les pratiques du yoga. Au risque d’être trop concis, on peut dire que les exercices de prânâyâma qui insistent sur les inspirations et poumons pleins, de même que les jalandhara bandha ainsi que les postures d’extension et d’ouverture, vont stimuler prâna vâyu. Pour activer apâna vâyu on peut installer un prânâyâma qui portera sur les expires et poumons vides, de même que la pratique de kapâlabhâti, ou bien des mûla bandha. Pour les postures, on peut privilégier celles de fermeture avant particulièrement quand les genoux sont ramenés vers la poitrine. Les uddhîyâna bandha, surtout les nauli (les barattages), les postures d’extension sur le ventre comme dhanurâsana (l’arc) ou setvâsana (le pont) et toutes les torsions activeront samâna vâyu. Vyâna vâyu sera renforcé par les équilibres, par des dynamiques comme les salutations au soleil, par les respirations alternées (nâdî shodhana) ainsi que par les mouvements du regard intérieur, les mudrâs, les expériences de yoga nidrâ et les méditations.
Sons et mantras équilibreront udâna vâyu. L’ujjâyi va, lui aussi, stimuler cette zone de la phonation et de la communication, mais on doit en user avec modération car il devient vite « féroce ». En effet, son usage systématique peut fermer alors la porte du redressement intérieur car nous fixant en permanence dans le corps dense. Pour fortifier udâna vâyu les équilibres debout sont à privilégier de même que, là encore, les méditations.
POUR CONCLURE
Les indiens aiment beaucoup catégoriser tous les aspects de la réalité. Nous venons de voir que les vâyu correspondent aux énergies qui président aux fonctions premières et essentielles de notre organisme. Mais il existe aussi au cœur de cette grande complexité énergétique et dans cette approche de la réalité le très important concept des guna, trois modalités, trois aspects de l’énergie qui imprègnent toute la manifestation. Nous les aborderons prochainement.
(à suivre…)
Marguerite Aflallo, De Vâyu à Prâna et de Prâna à Prânâyama (deuxième partie : Vâyu).